Caliban a écrit :Certes. Le problème n'est pas symétrique, et le référentiel du vaisseau n'est pas inertiel.
Il n'en est pas moins légitime pour autant : tout n'est malheureusement pas symétrique, dans la vie !
C'est précisément le point de cette simulation : montrer ce que voit le pilote du vaisseau et raccrocher cela à ce voit l'observateur terrestre (horloges et aspect du ciel). Il n'est pas possible d'avoir les deux points de vue en même temps mais les comparer permet de ne pas perdre le visiteur en le raccrochant à ses repères habituels.
Caliban a écrit :Roland Lehoucq a écrit : on ne peut pas faire comme si le vaisseau était fixe et la Terre mobile.
Il ne s'agit pas de "faire comme si". Dans le référentiel du vaisseau, par construction,
le vaisseau
est fixe et la Terre mobile. Point.
Oui, mais les points de vue ne sont pas symétriques : la Terre est un référentiel inertiel et pas le vaisseau. Dans la relativité restreinte habituelle, le vaisseau est un référentiel inertiel car il se déplace à vitesse constante et son point de vue et celui de la Terre sont parfaitement symétriques. Des choses dites dans ce contexte là ne sont plus vraies dans le cas d'un vaisseau accéléré/décéléré.
Caliban a écrit :Bref : comme il me le semblait bien, tu raisonnes exclusivement dans le référentiel de la Terre
(la notion d'accélération du vaisseau n'ayant pas de sens dans son référentiel propre).
L'accélération propre a un sens parfaitement défini dans le référentiel du vaisseau : c'est ce qu'indique un accéléromètre embarqué. L'ordinateur de bord intègre l'accélération propre par rapport au temps propre pour obtenir une quantité homogène à une vitesse, qui tend vers l'infini quand le temps propre tend vers l'infini (à accélération propre constante par exemple). Cette quantité tendant vers l'infini ne peut être la vitesse du vaisseau par rapport à la Terre, puisque la limite est la vitesse de la lumière. Divisée par la vitesse de la lumière, cette quantité donne un nombre sans dimension nommé
rapidité dont la tangente hyperbolique est égale à la vitesse du vaisseau par rapport à la Terre en unité de la vitesse de la lumière (le facteur béta des formules relativistes). Ainsi, le pilote peut avoir une idée de sa vitesse par rapport à la Terre sans faire aucunement référence à des mesures externes au vaisseau.
Caliban a écrit :Et je reviens à ma remarque initiale : le procédé qui consiste à mettre en scène le — uh, point de vue
d'un observateur ostensiblement situé à l'intérieur du vaisseau, pour s'en tenir à une analyse qui n'est
valide que dans un référentiel qui n'est pas celui de cet observateur me semble pour le moins ambigu.
Nous présentons le point de vue du vaisseau de façon complète (temps, aspect du ciel, accélération propre) en le mettant en regard du point de vue terrestre calculé (horloge, vitesse par rapport à la Terre que le pilote peut calculer en passant par la rapidité, nous supposons que le visiteur connait grossièrement l'aspect du ciel étoilé terrestre) pour en souligner les différences. C'est clairement le point de vue du pilote qui est privilégié.
Caliban a écrit :Je suis parfaitement conscient de la difficulté de l'exercice. Mais ça me pose quand même un sacré problème :
si l'on s'adresse à la partie du "grand public", comme tu dis, qui n'a pas vraiment effectué sa révolution
galiléenne (c'est-à-dire, précisément, cette question de la relativité), sans même essayer de le faire réfléchir
sur la notion de référentiel, quel sens cela peut-il avoir de présenter à ces aristotéliciens qui s'ignorent
des subtilités de la physique einsteinienne ?
Mon expérience d'enseignant et de conférencier m'a montré à maintes reprises que la physique du lambda moyen est aristotélicienne. S'il se rappelle de sa physique de lycée, il comprend la relativité galiléenne. Seuls ceux qui ont suivi un enseignement universitaire de relativité restreinte peuvent en suivre les arcanes. Quant à la relativité générale, je n'ose même pas penser au nombre minuscule de personnes qui en comprennent ne serait-ce que les prémisses... Du coup, il s'agit plus de montrer une choses étonnante, espérant que cela éveillera un intérêt ou une question qui poussera le visiteur à aller plus loin. Et aussi de lui montrer que tout cela
se calcule. Note enfin que l'exposition parle aussi de SF, genre où la relativité galiléenne inspire assez peu d'histoires. Il est donc plus logique de passer à Einstein par dessus la tête de Galilée.
Caliban a écrit : Mais je crois aussi qu'il y a une hiérarchie des concepts, et qu'une progression s'impose
d'autant plus qu'on dispose de moins de temps. Balancer ex cathedra des concepts compliqués à un
public incapable de les saisir dans le temps qu'on lui consacre, c'est le contraire de la science.
Dans une exposition comme celle-là, on ne peut pas faire de science en détail car il y a tout simplement trop de choses à expliquer, en science bien sûr
mais aussi en SF que les visiteurs ignorent presque totalement (du genre "Non la SF n'est pas née chez les américains dans les années 60", "Oui la SF a des racines anciennes, européennes et même françaises"). Même si l'on ne reste que sur la science, les pré-requis pour comprendre une idée nouvelle ou non intuitive sont souvent innombrables : par exemple pour bien comprendre la relativité restreinte il faut avoir compris la relativité galiléenne, ce qui n'est pas le cas de la plupart des gens. Le simple temps passé à expliquer les pré-requis annihile toute possibilité de continuer plus loin, vu le temps imparti. Dire beaucoup est impossible, dire trop peu ou rien est inutile, alors quoi ?
Il faut donc faire des choix qui pour un scientifique reviennent à décider s'il préfère se couper plutôt un bras ou plutôt une jambe. Dans le cas de cette animation le choix fait fut de présenter de façon réaliste le point de vue du pilote du vaisseau (notamment l'aspect du ciel) pour le comparer à celui d'un observateur terrestre (situation courante et peu exaltante) et à celui d'un pilote d'un vaisseau de film de SF (spectaculaire, mais qui est toujours faux). Ce que j'espère que le visiteur retiendra :
- Quand on va vite il se passe des choses visuellement curieuses que la science peut
calculer et montrer avec de jolis films.
- Vite, ça veut quand même dire moins vite que la vitesse de la lumière dans le vide qui est une limite absolue.
- La mesure d'une durée dépend de l'état de mouvement de celui qui la mesure.
Si l'on faisait un sondage dans la rue pour estimer la fraction de gens capables de répondre correctement à ces trois points, je pense que l'on aurait un taux de réussite très faible. En matière de diffusion des connaissances il faut parfois savoir se contenter de peu car "le secret d'ennuyer est celui de tout dire" (Voltaire).