Ayerdhal a écrit :Vous vous trompez de beaucoup d’erreurs, les mecs.
Bon, tonton Yal, tout cela est plein de piques, de contre-vérités, d’approximations et d’effet de manches, et tu m’as bien mis sur les nerfs, donc tu m’excuses si j’ai pris quelques jours pour ne pas répondre à chaud et réfléchir un peu à ce que tu racontes.
Pour tout ce qui concerne le prix des livres, je ne suis pas le mieux placé pour répondre, il s'agit d'économie du livre, de sujets complexes et je ne suis au fond qu'un modeste technicien. Mais je t'invite déjà à lire les précédentes interventions sur ce fil, parce que la question a déjà été largement débattue, qu'il y a beaucoup d'interventions (allant dans ton sens ou non) qui apporteront de l'eau à ton moulin et qu'on ne va pas reprendre le débat au début à chaque fois.
En gros, pour ce que je peux en dire, et ce que je comprends notamment des interventions de professionnels, le modèle économique que tu proposes ne serait viable que dans le cadre d'une offre tout numérique. Effectivement, les coûts de fabrication et de distribution sont réduits mais pas inexistant (pour avoir passé les derniers jours du mois d'août et une bonne partie de mes nuits sur la préparation de la plateforme, je sais qu'ils existent, cf. plus loin). Mais penser qu'on peut brader un livre numérique sous prétexte qu'il est immatériel relève au mieux d'une large ignorance des enjeux de la question, au pire de la mauvaise foi.
Un livre, ce n'est pas juste un prix découpé en pourcentages, c'est un investissement préalable, un seuil de rentabilité. Bêtement, des livres moins chers sans assurance qu'ils soient compensés par un nombre plus important de vente, c'est le risque de ne pas atteindre ce seuil de rentabilité, et de mettre la clé sous la porte. Gilles a mis les mains dans le cambouis un peu plus tôt dans le fil pour expliquer ce qu'impliquait réellement une baisse de prix. Honnêtement, j'espère qu'à terme on multipliera par 100 les scores actuels de vente du Bélial' et qu'on pourra vendre des livres au prix que tu proposes sans perdre d'argent. Mais dans l'état actuel des choses, vu le marché du numérique aujourd'hui, ce n'est tout simplement pas un risque qu'on peut prendre en se basant simplement sur une intuition, et tu le sais.
Le modèle que tu proposes ne serait valable pour une maison d'édition qui ne vendrait que des livres numériques, qui se passerait des libraires, voire pour un auteur qui fabriquerait lui-même ses fichiers ePub pour les vendre sur son blog. Dans tous les cas, dans une économie qui se passerait totalement de celle du papier. C'est un modèle sans doute pertinent dans ce cas, mais ce n'est pas celui qu'a choisi le Bélial' qui n’est pas prêt de se passer du papier, et c'est absurde de vouloir comparer les deux.
Pour le reste :
Il semble aussi que votre opération de lancement ne soit qu’une opération… disons de communication, en tout cas pas une étude
Tu noteras, personne n’a parlé d’étude, que je laisse aux cabinets publicitaires. On a juste parlé d’expérience. Pour faire une véritable étude et avoir suffisamment de résultats valables, il faudrait faire ça à grande échelle, sans doute sur un auteur à succès, dans un cadre précis. De notre côté, le but était de faire le buzz et de susciter le débat, on ne s'en est jamais caché et je crois qu'on a plutôt réussi de ce côté-là. D’ailleurs, On a constaté sur le forum que le numérique et ses problématiques intéressaient beaucoup de gens, contrairement à ce qui se dit souvent, et que les intervenants semblent beaucoup plus au courant des enjeux que tu n'as l'air de le penser.
« Flexible. Créez vos propres recueils en choisissant parmi le fonds du Bélial’ des nouvelles à télécharger à la pièce sans avoir besoin d’acheter un recueil entier. »
Encore heureux ! Et heureusement déjà pratiqué par (presque) tout le monde.
J’aimerais bien savoir par qui. En tout cas pas par eux. Ni eux. Ni eux. Et eux non plus. Oh bah tiens, eux non plus. Oh merde, même pas eux ? Alors, je ne sais pas à quel pourcentage tu situes "la plupart", mais si tu peux au moins m'en citer quelques-uns, ça m'intéresse grave (sans ironie, hein, ça m'intéresse vraiment en tant que lecteur).
Et quoiqu'il en soit, je veux bien croire que nous ne sommes pas les seuls. Mieux même, je l’espère, vu que l’idée est aussi d’ouvrir la voie et vu que ça m’intéresse aussi en tant que lecteur. Et quand bien même tout le monde le ferait déjà, c’est quoi cet argument de merde ? En quoi est-ce ce serait moins bien qu'on le fasse ?
Montrez l’intérêt des bornes numériques (mdr), justifiez leur existence et leur coût sur le prix du livre.
Là je suis d’accord avec toi, vendre des livres numériques sur des bornes en librairie, c’est juste absurde. D’ailleurs, personne ne va chez son disquaire pour acheter des mp3s. Lol ! Et d’ailleurs, j’irais même jusqu’à dire que personne n’envisage sérieusement, à ma connaissance, de vendre des livres numériques sur des bornes en librairie. Pire ! Je ferais même remarquer qu’il n’en a jamais été question pour nos livres numériques et que je suis un peu surpris de trouver ça dans ton pamphlet.
Démontrez que tout ce joli monde est indispensable à la bonne diffusion électronique de l’ouvrage. Mais surtout, surtout, expliquez pourquoi vous avez choisi de rester dans la logique de fonctionnement « papier » plutôt que de développer une logique autre ou de vous inscrire dans l’une de celles qui existent déjà, comme publie.net, numeriklivres etc.
Mais parce que Le Bélial’ est avant tout et restera, je l’espère, pour un bon moment, un éditeur de livres papiers avant tout. Et je suis sûr que tu n’as pas manqué de remarquer que numeriklivres et publie.net sont de jeunes maisons d’édition qui ne publient que des livres numériques, totalement détachées des problématiques de l’édition papier et de ses moyens de diffusions.
Aujourd’hui, Le Bélial’ ne peut pas se priver des libraires indépendants qui défendent ses livres et lui qui lui permette de toucher notre public. Et que si certains veulent vendre nos livres numériques sur leur site et continuer à faire leur boulot de passeurs d'ouvrages sur d'autres supports, je ne vois pas pourquoi nous leur refuserions. A titre personnel, en tant que libraire, honnêtement, je n’y crois pas. Mais pourquoi ne pas tenter l’expérience, si notre distributeur met en place les outils qu’il faut ?
Peut-être que d’ici quelques années, on constatera que ça n’a aucun intérêt et que ça n’intéresse personne, peut-être que se créeront deux marchés totalement hermétiques. Et peut-être que non, peut-être qu’on a besoin aussi de passeur d’ouvrages pour faire connaître des genres un peu confidentiels comme ceux qui nous intéressent et les livres d’une maison moyenne comme Le Bélial’. Honnêtement, je n’en sais rien, et ça ne sert pas à grand-chose de tirer des plans sur la comète. Comme on l’a déjà dit, au Bélial’, on a envie d’essayer des tas de trucs, travailler avec les libraires en fait partie, on verra ce que ça donne.
Vous avez raison, les coûts de fabrication et de distribution sont réduits, tellement qu’on se demande s’ils sont signifiants. Sur la fab, qui représente entre 15 et 20 % du prix du livre « papier », il y a un coût en numérique. Sûrement, mais quel est-il au juste ?
Et bien, oui, entrons dans le vif du sujet, puisque vu tes différentes sorties, tu n’y connais apparemment pas grand-chose. Combien coûte un livre numérique à fabriquer, c’est un peu tôt pour le dire. Je ne peux pas te donner de chiffres, parce que je ne les connais pas. Par contre, je peux te dire précisément le temps que ça prend, parce que j’ai passé une bonne partie du mois d’août à fabriquer des livres numériques. Je te laisse ensuite faire la conversion en euros, selon ce que tu estimes que je devrais être payé de l’heure, par exemple au SMIC (même si j’espère ne pas passer ma vie au SMIC).
Prenons un roman de taille moyenne comme La Cité des crânes. Je pars d’un fichier Xpress qui est celui qu’a fait Olivier ou son maquettiste et dont est issue le fichier PDF qui est envoyé à l’imprimeur. Comme la mise en page d’un livre numérique n’a rien à voir avec celle d’un livre papier, ça ne m’avance pas beaucoup, mais ça me permet d’avoir un fichier relativement propre et débarrassés d'un maximum de coquilles. De là, je crée un nouveau PDF sur lequel je dois me livrer à peu près aux mêmes manipulations que nécessite la préparation d’un fichier pour un livre papier : vérifier les césures, les veuves et les orphelines, etc. Bien sûr, je pourrais gagner du temps en gardant le fichier qu’on envoie à l’imprimeur, mais je ne pense pas que nos lecteurs ont envie de se retrouver avec un PDF dont le texte n’occupe que la moitié de l’écran, avec des marges immenses et des traits de coupes.
Ajoute à cela la relecture du livre une fois le fichier PDF créé, correction d’éventuelles erreurs et coquilles, report des corrections sur le fichier, on en a grosso merdo pour une journée de travail (pour un livre de la taille de La Cité des crânes, évidemment, pour La Maison qui glissait, c’est plus), sachant que mes journées de travail commencent vers 10h et se terminent vers 22h.
On attaque ensuite la création du fichier ePub. Un fichier ePub est en fait un bête fichier zip avec des fichiers HTML (autrement dit des pages web) à l’intérieur. Il faut d’abord découper le texte d’origine par tranche de 300 ko qui est le maximum recommandé pour un fichier HTML dans un ePub. On convertit ensuite ces tranches à l’aide d’un outil comme par exemple Word2cleanhtml qui a personnellement ma préférence. On pourrait gagner du temps et utiliser l’export HTML de Word, mais le HTML produit pas Word est vraiment dégueu, on perdrait énormément en qualité du code et donc en compatibilité avec un plus grand nombre de plateforme. Une fois ces fichiers créés, il y a un certain nombre de nouvelles manip à faire parce qu’elles ne sont pas « traduisibles » directement en HTML, notamment les tirets de dialogues qui deviennent tous des tirets normaux, les espaces insécables avant les guillemets ou les signes de ponctuations, etc.
Une fois les fichiers propres, on crée les autres fichiers nécessaires au format ePub (en fait, comme on est malin, on les récupère des autres fichiers ePub qu’on a déjà créé en changeant titre, auteur, isbn, etc.), notamment la table des matières avec des liens vers les fichiers HTML. On crée l’image de couverture (pas très long, j’ai volontairement utilisé une maquette simple qui s’adapte facilement à tous les titres). On compresse le tout pour obtenir un fichier ePub. On utilise un outil comme celui de Threepress pour valider le fichier, on corrige les erreurs et on revalide jusqu’à ce que le fichier soit nickel. Toujours en se basant sur la taille de la Cité des crânes, c’est une journée et demi de travail pour créer un fichier ePub standard et propre.
On met ensuite les fichiers en ligne sur le serveur (quelques secondes) et on crée la fiche dans la base de données, avec titre, auteur, ISBN, couverture, quatrième, etc. Pas vraiment de l’ordre de la fabrication du livre numérique, mais quand même obligatoire, vu qu’on est notre propre plateforme. Pour un seul livre, c’est assez vite fait, mais quand tu as un recueil de nouvelles (de taille moyenne) et qu’il faut encore créer un fichier ePub, un fichier PDF, et une fiche dans la base de données pour chaque nouvelle tu peux encore rajouter une bonne journée de travail. Pour un recueil avec 19 textes courts comme La Créode, c’est une journée qui a commencé mardi matin et qui s’est terminée mercredi vers 2h.
Evidemment, on n’est pas obligé de tout faire à la main, il y a des outils plus ou moins amateurs qui permettent de le faire, mais le résultat est franchement dégueu, et ça me prendrait probablement plus de temps de corriger les myriades d’erreurs que d’utiliser, comme je le fais, mon propre modèle. Je pourrais aussi balancer le fichier ePub comme, ça bien entendu. Tu fais comme tu veux avec tes lecteurs. Mais il se trouve que je suis perfectionniste, que Le Bélial’ soigne particulièrement la fabrication de ses bouquins et que ça doit se retrouver aussi sur notre plateforme, que j’estime que si un lecteur paie pour un livre numérique, il a le droit à mieux qu’un fichier word vite transformé en PDF vite transformé en ePub sur une plateforme pour les particuliers. Et je t’invite, comme tous nos lecteurs, à faire l’expérience en transformant toi-même le PDF de LGM (qui est toujours proposé à 0 €) en ePub, et en comparant le résultat avec l’ePub qu’on propose, nous.
L’erreur (qu’on voit souvent, c’est vrai), c’est de confondre les coûts de fabrication avec le prix du papier et de l’impression. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’objet matériel que sa fabrication est gratuite.
Ainsi, la norme du marché en matière de droits d’auteur serait à 10 %. J’en connais plus de trente mille qui feraient un infarctus en lisant ça. Ce putain de marché n’a pas de norme ! Que des différences de traitement. Et la moyenne, totalement incalculable pour cause d’opacité, est sûrement loin en dessous de 10 %. La réalité ? 4 à 12 % sur le « poche ». 6 à 15 % sur le « grand format ». Parfois plus, pour les rares best-sellers. Souvent moins pour les nombreux auteurs « jeunesse ». Et 2 % pour les traducteurs.
Effectivement, pour le livre papier, il n’y a aucune norme. Mais je parlais, bien entendu, du marché naissant du livre électronique et je me basais sur les propositions qui avaient été faite par le groupe Gallimard à ses auteurs à la fin de l’année dernière, et qui avait déclenché une levée de boucliers, bref, d’infos glanées sur le droit du serf, notamment, ce qui est assez comique du coup. Par rapport à ça, 30% pour les livres vendus via notre plateforme, ça me paraît déjà beaucoup plus honnête.
C’est quoi d’ailleurs cette ineptie ? L’éditeur reverse ? Il est bien charitable ou il se prend pour un fonds de pension ? Vous vexez pas, je pinaille.
J’avoue, le mot était mal choisi. Mais tu as beau attaquer sur la forme, je suis sûr que tu as compris le fond.
Vous avez peur de perdre le soutien de vos amis libraires pour les ouvrages « papier » ?
Oui ! (cf. plus haut)
En instituant le prix unique du livre (plus ou moins 5%), la loi Lang ne favorise que les gros « libraires », ceux qui peuvent négocier une marge conséquente avec le diffuseur/distributeur. Les autres peinent à obtenir une marge viable.
Alors ça, en plus d’être faux et crétin, c’est dangereux. La loi Lang a été pensée pour protéger les libraires indépendant (gros / petit, ça n’a pas beaucoup de sens, il y a des « gros » libraires indépendant) mais aussi, et surtout, et on ne le dit pas assez, les éditeurs indépendants. Et ce n’est pas pour rien si Michel-Edouard Leclerc se bat depuis 25 ans pour la faire abroger et que les libraires indépendants se battent pour la protéger. Et ce n’est pas pour rien si, depuis que la FNAC (et la loi Lang) existe, il n’y a plus de petits disquaires.
Pour finir :
En ce qui concerne la plateforme elle-même, j'ai cherché à faire ce que, en tant que le lecteur, j’aurais aimé avoir. Je réfléchis depuis un moment à la question, j’avais pas mal d’idées que j’ai soumises à Olivier et qu’il a toutes acceptées (bon, presque toute). En ce qui me concerne, j’ai cherché à proposer ce qui était le mieux pour le lecteur final, parce que tout simplement c’est ce qui permettrait d’avoir à nos livres le plus de lecteurs. En ce qui me concerne, j’ai un salaire fixe et je ne touche pas de dividende sur les bénéfices du Bélial’. Et je pense que tu connais suffisamment Olivier et le boulot qu’il fait, mais aussi la situation du marché du livre pour savoir qu’il ne s’agit pas pour lui d’agrandir la surface de sa piscine.
Alors je ne vois pas en quoi proposer des livres sans DRM, dans plusieurs formats, retéléchargeables, des recueils à la pièce serait démago. Sauf dans une logique étrange et qui semble être la tienne et selon laquelle tous les points sur lesquels nous sommes prudent sont de la pure escroquerie et tous ceux sur lesquels nous allons dans le bon sens sont de la démago et du marketing. Reconnais au moins que par rapport à la plupart de ce qu'on voit aujourd’hui dans le domaine (et je situe la plupart à 80%), nous allons de l’avant et que nous cherchons à trouver des solutions. Reconnais que nous sommes une petite maison d'édition et que nous ne pouvons pas nous permettre de faire n’importe quoi avec les livres de nos auteurs, que nous n’avons pas la même marge de manœuvre que toi tout seul ou qu'une maison exclusivement numérique et que la comparaison est absurde. Je veux bien entendre qu’on n’a pas assez de couilles, qu’il faudrait aller plus loin, qu’on peut faire mieux, mais pas que tout est à jeter, qu’on est malhonnêtes et qu’on prend les gens pour des cons. Reconnais au moins ça, et on pourra, je l’espère, commencer à discuter sérieusement, débarrassé de la rhétorique et des effets de manches, et entrer dans le vif du sujet.
Mais en fait, je pense que la seule question importante, celle brûle mes lèvres et je pense celles des lecteurs de ton pamphlet, c'est : qu'est-ce que tu attends encore pour te lancer ? Si tu es si certain la fiabilité de ton modèle économique débarrassé des intermédiaires et du prix idéal pour un livre numérique, si tu n'as pas besoin, comme nous, d'y aller avec prudence et d'essayer des trucs, pourquoi est-ce que tu ne l'as pas déjà fait ? Pourquoi pas un Ayerdhal.fr avec tous tes bouquins en numérique à 2 € ? Et je le dis sans ironie, pas seulement parce que c'est facile de taper sur les autres sans essayer soi-même, mais aussi parce que je trouve que tout ce qui se passe dans ce domaine encore à déchiffrer est passionnant, tout est à faire et à essayer, et ça m'intéresserait grave de savoir ce que ça donnerait pour toi.
Et si ce n'est qu'un problème technique, et bien, il se trouve que je suis aussi développeur web à mes heures, alors voilà : tu me files tes romans en ePub et PDF, je te fais un site-plateforme avec paiement sécurisé et téléchargement à volonté, on envoie chier les intermédiaires, je prends 10% sur chaque livre vendu et tu peux garder 90% de droits d'auteurs, et roule. Alors je sais pas toi, mais moi j'ai envie de dire, tope-là !