Image Comics un éditeur qui devient de plus en plus important aux U.S.A. notamment grâce à sa politique de creator owned, c'est-à-dire que les droits des histoires et des personnages vont aux créateurs. Contraire au work for hire où l'éditeur est propriétaire des droits des personnages et des histoires.
Les personnages les plus connus de la bande dessinée mainstream (le courant majoritaire, autrement dit les super-héros) sont dans ce cas : Spider-Man, Superman, Sandman (même celui du label Vertigo), les Avengers, etc.
Or donc pour Image Comics donc, Warren Ellis a écrit une mini-série de sept numéros autour de Suprême, une sorte d'avatar mal dégrossi de Superman inventé par Rob Liefeld, et qui a connu son "moment de gloire" grâce à Alan Moore vers la fin des années 1990.
À cette époque Moore a envie de revenir dans le mainstream et Leifeld lui en donne la possibilité, ce qui donnera par la suite mais au sein de WildStorm (une maison d'édition qui appartient à Jim Lee et qui fait partie d'Image Comics) le label America's Best Comics, l'un des projets les plus ambitieux du reclis de Northampton : Tom Strong, Promethea, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, Top Ten, etc.
WildStorm sera vendu à DC Comics, mais ça, c'est une autre histoire.
Pour l'instant revenons au projet du scénariste anglais Warren Ellis qui a décidé de relancer le super-héros Suprême en collaboration avec la dessinatrice Tula Lotay:
Warren Ellis a écrit :"Un jour je me réveille avec une idée, venue de nulle part, pour étendre les plus étranges et riches archétypes analogues vers de nouveaux horizons. Un nouvel étage au-dessus de la maison bâtie par Alan Moore et Rob Liefeld. Et puisque j'ai beaucoup de temps libre cette année, j'envoie un e-mail à Image, puis j'implique mon amie Tula Lotay - dont le travail sera une révélation pour les gens."
Mais bien entendu il le fait à sa manière. [-_ô]
..... Scénariste de son temps, Warren Ellis a depuis longtemps montré une appétence particulière pour la métafiction, il suffit pour s’en convaincre de lire PLANETARY et a fortiori SUPREME BLUE ROSE la mini-série dont il est question ici, dessinée par la très talentueuse Tula Lotay.
Enfant de l’ère postmoderne et surtout du siècle 2.0 il réinvente ici le concept de Supremacy* in silico ; c’est-à-dire à partir d’un modèle informatique.
Ainsi n’est-il plus question de relaunch ou de reboot mais de « versioning ».
Darius Dax ennemi privilégié de Suprême, est à la tête d’une société la National Praxinoscope Company ; quel nom merveilleux lorsqu’on sait que le praxinoscope est une invention qui donne l’illusion du mouvement en utilisant un mouvement cyclique et des dessins, et qu’il s’agit de parler des univers partagés de la bande dessinée américaine comme le font ici Ellis & Lotay.
Du reste le récit est lui-même cyclique : arrivé à la dernière page du septième et dernier numéro vous pouvez reprendre à la première page du premier numéro et enchaîner une nouvelle lecture.
D’ailleurs si vous regarder attentivement la couverture du dernier numéro sur la droite on aperçoit les plumes de la queue de l’oiseau qui se trouve sur la première couverture (à gauche). CQFD !
Or donc, Darius Dax veut éliminer l’alter ego de Suprême car il a compris comme tous les lecteurs de comic books que le premier super-pouvoir des super-héros est d’attirer à eux les pires catastrophes et les ennemis le plus improbables.
Si on regarde de plus près l’histoire du genre, il suffit qu’apparaisse un super-héros pour que toute une flopée de super-vilains suive.
En faisant de Darius Dax un homme qui veut se débarrasser du super-héros en titre, pour protéger la planète car il est un aimant à « problèmes », Warren Ellis dénonce la supercherie ultime : le super-vilain n’est pas celui qu’on croit.
Les super-héros pour continuer à être ce qu’ils sont et ne pas devenir la « cartouche vide » hégélienne que tout vrai redresseur de torts est destiné à devenir (et devrait rêver d’être), et constituer encore et toujours une source de profit pour leurs propriétaires, ces personnages donc disposent d’un talent caché : celui de créer de l’inflation dramatique qui se traduit par la création de problèmes qu’ils sont les seuls soi-disant capable de contrecarrer.
Les super-héros inventent les raisons de leur existence.
Utilisant avec un rare talent la décompression : cette technique narrative qui dilate le temps en séquençant l’action au maximum - inspirée du storytelling de certains manga - et qu’il a été l’un des premiers à importer dans la BD made in U.S.A., SUPREME BLUE ROSE devient la métaphore des interminables séries « à suivre » qui sont le fond de commerce de l’industrie de la BD outre-Atlantique.
Ce qui n’est pas un mince tour de force en seulement 7 numéros.
..... Belle réflexion sur le genre, SUPREME BLUE ROSE bénéficie en outre de l’énorme talent de l’artiste Tula Lotay, dont la moindre des qualités est de nous donner envie de lire et relire cette mini-série ; et donc de nous donner la possibilité d’en saisir toute la richesse grâce à une lecture répétée.
cela dit « relire » est l'activité principale de tout lecteur de comic books lorsqu'il lit des séries au long court.
Il me semble en effet évident que ce n'est plus des aventures inédites qu’il nous faut attendre lorsque nous lisons des séries dont la durée de vie avoisine celle d’un être humain, mais plutôt des combinaisons nouvelles de situations déjà lues.
Ce que propose SUPREME BLUE ROSE en ajoutant au plaisir de la lecture celui de l'analyse (et la révélation d'un deuxième degrés riche en perspectives nouvelles) c'est de réitérer la lecture de quelque chose que l'on connaît par cœur, à l'instar de ce que fais n'importe quel lecteur de comic books, et d'y prendre à chaque fois plaisir.
Ou du moins de l'espérer.
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* Supremacy est un "endroit" où toutes les anciennes versions (et donc obsolètes), du super-héros Suprême vivent.