Pour répondre à l'invitation de Soleil vert, je me permets d'exposer encore quelques impressions au fil de la lecture.
"Les Entiers sombres".
Egan disserte ici sur la coopération puis le conflit larvé, la guerre de position, les escarmouches, ultimatums, tentatives d'annexion et ripostes conséquentes dans une surenchère inévitable qui mène à une impasse. Une sorte de réflexion sur l'art de la guerre et les ressorts psychologiques qui décident des stratégies. Reflexion qui convoque les mythes (cheval de Troie, talon d'Achille), la guerre froide et la dissuasion nucléaire.
D'autant plus glaçant que l'on s'affronte ici à coup d'axiomes ou de théorèmes mathématiques qui sous-tendent les lois physiques de l'univers, et que les conséquences en sont donc bien plus radicales que celles d'armes conventionnelles.
La très logique solution que propose Egan à la résolution du conflit, bien qu'à première vue imparable, n'apparait finalement, comme il le dit lui-même, que temporairement définitive voire définitivement temporaire.
L'auteur conclut sa nouvelle sur une jolie pirouette en nous invitant à un tour de manège dans la circularité. Relire les deux nouvelles en boucle ? Avis aux amateurs...
Au final, une nouvelle exigeante mais excellente, même si, impression de déjà-lu oblige, elle n'a pas le statut d'OLNI qu'avait "Radieux".
Joli clin d'oeil au bug de l'an 2000 au passage.
"Mortelles ritournelles"
Cette nouvelle m'ayant suggéré et mis en tête une 'tain de rengaine publicitaire de mon enfance (voir le fil consacré à la nouvelle sur le blog) qui a bien sapé ma concentration, j'atteste que cette idée est diabolique. Lire et vivre simultanément la mésaventure du héros facilite forcément l'immersion dans le texte.
Tellement fasciné par les textes d'Egan que je me demande s'il ne s'agit pas d'auto-suggestion, de conditionnement pavlovien, ou si celui-ci ne truffe pas ses récits de mots-clés qui font jouer les serrures de la biochimie hormonale associée au plaisir. Un peu comme une machine à écrire Underwood parasitée par un virus informatique...
Intégrale des nouvelles de Greg Egan
Re: Océanique, de Greg Egan (novembre 2009)
"Le Réserviste "
Qu'il s'agisse du dispositif Ndoli, de transfert dans un robot de téléprésence, de copie numérique ou, comme ici, de clonage, nombre de personnages d'Egan, en quête de permanence, rêvent de dupliquer leur esprit à l'identique pour survivre à la corruption du corps.
Mais, à défaut de duplication, l'expèrience s'avère aussi dissociative que l'angoisse de morcellement de la conscience qui les hante. L'espoir initial de sauvegarde et de perpétuation de son intégrité semble bien illusoire devant l'inéluctable perte d'une partie de soi.
Le Je espéré est forcément un Autre.
Que soit dépeint ici un personnage égocentrique, cynique, amoral, en un mot détestable, n'enlève rien à l'ironie cruelle de la conclusion. Que ce soit son orgueil qui le condamne au final à habiter un musée vivant consacré à sa gloire n'empêche pas d'être touché par ce sort peu enviable. L'idée que la fin justifie les moyens nous heurte mais le héros vit une époque où l'acceptation de la mort n'est plus une vertu mais une démission à laquelle il n'est pas disposé à succomber.
Egan nous sert ici une fable mordante et profonde sur la question ardue de l'identité.
Pour ne pas céder à ma propension aux superlatifs je n'en dirai pas plus.
Qu'il s'agisse du dispositif Ndoli, de transfert dans un robot de téléprésence, de copie numérique ou, comme ici, de clonage, nombre de personnages d'Egan, en quête de permanence, rêvent de dupliquer leur esprit à l'identique pour survivre à la corruption du corps.
Mais, à défaut de duplication, l'expèrience s'avère aussi dissociative que l'angoisse de morcellement de la conscience qui les hante. L'espoir initial de sauvegarde et de perpétuation de son intégrité semble bien illusoire devant l'inéluctable perte d'une partie de soi.
Le Je espéré est forcément un Autre.
Que soit dépeint ici un personnage égocentrique, cynique, amoral, en un mot détestable, n'enlève rien à l'ironie cruelle de la conclusion. Que ce soit son orgueil qui le condamne au final à habiter un musée vivant consacré à sa gloire n'empêche pas d'être touché par ce sort peu enviable. L'idée que la fin justifie les moyens nous heurte mais le héros vit une époque où l'acceptation de la mort n'est plus une vertu mais une démission à laquelle il n'est pas disposé à succomber.
Egan nous sert ici une fable mordante et profonde sur la question ardue de l'identité.
Pour ne pas céder à ma propension aux superlatifs je n'en dirai pas plus.
Re: Océanique, de Greg Egan (novembre 2009)
"Poussière" / "Les Tapis de Wang"
La première nouvelle, située à l'époque pionnière de la numérisation des circuits neuronaux, décrit l'interaction d'une copie numérique et de son environnement virtuel généré par ordinateur; sa collaboration, via l'interface informatique, avec son modèle de chair; ses interrogations sur son identité, et son intuition de la possibilité laissée à l'être conscient de trouver dans la discontinuité quantique, la plasticité nécessaire lui permettant de modeler l'univers et de configurer l'espace-temps dans un acte solipstique de (re)création.
A l'instar du roman (La cité des Permutants) qui l'intègre, cette nouvelle n'est pas exempte de pavés techniques qui génèrent une certaine lourdeur mais présente dans la théorie de la poussière une idée fascinante tout en continuant d'explorer le riche filon de l'identité et son ambiguité.
Dans la seconde nouvelle, située quelques 23 siècles plus tard, plus aucun être humain de chair ne peuple la Terre. Subsistent des robots dans lesquels les humains ont transféré leur esprit et des copies numériques vivant dans un espace virtuel totalement indépendant et déconnecté de tout support matériel.
Ces copies numériques se regroupent par affinité selon leurs conceptions philosophiques, cosmogoniques et cosmologiques en diverses cités indépendantes.
Certaines cités qui vivent repliées sur elle-même, nient jusqu'à l'existence même d'un monde physique "réel" préexistent et indépendant dont elles seraient issues.
On suit ici les habitants d'une cité qui, croyant au contraire fermement à l'existence d'un univers physique réel, décident de disperser dans l'espace 1000 copies de leur cité et d'eux-mêmes à la recherche d'extraterrestres réels, donc extèrieurs à leur sphère de conscience, afin de démontrer que la conception solipstique de l'univers est une illusion.
Ce qu'une des 1000 versions de la cité initiale restée sur Terre découvrira à l'issue du voyage, s'avère un pied de nez réjouissant qui conclue la nouvelle sur une très interessante fin ouverte qui autorise plusieurs interprétations vertigineuses.
Du grand art.
Pour voir développés de nombreux points à peine esquissés, j'ai plus que hâte de lire Diaspora tant cette nouvelle est riche de perspectives...
P.S : ce fil prenant le tour fort déplaisant d'un long monologue creux, je stoppe là ces "vignettes" en espérant pouvoir lire vos avis sur ce bouquin hors-norme.
La première nouvelle, située à l'époque pionnière de la numérisation des circuits neuronaux, décrit l'interaction d'une copie numérique et de son environnement virtuel généré par ordinateur; sa collaboration, via l'interface informatique, avec son modèle de chair; ses interrogations sur son identité, et son intuition de la possibilité laissée à l'être conscient de trouver dans la discontinuité quantique, la plasticité nécessaire lui permettant de modeler l'univers et de configurer l'espace-temps dans un acte solipstique de (re)création.
A l'instar du roman (La cité des Permutants) qui l'intègre, cette nouvelle n'est pas exempte de pavés techniques qui génèrent une certaine lourdeur mais présente dans la théorie de la poussière une idée fascinante tout en continuant d'explorer le riche filon de l'identité et son ambiguité.
Dans la seconde nouvelle, située quelques 23 siècles plus tard, plus aucun être humain de chair ne peuple la Terre. Subsistent des robots dans lesquels les humains ont transféré leur esprit et des copies numériques vivant dans un espace virtuel totalement indépendant et déconnecté de tout support matériel.
Ces copies numériques se regroupent par affinité selon leurs conceptions philosophiques, cosmogoniques et cosmologiques en diverses cités indépendantes.
Certaines cités qui vivent repliées sur elle-même, nient jusqu'à l'existence même d'un monde physique "réel" préexistent et indépendant dont elles seraient issues.
On suit ici les habitants d'une cité qui, croyant au contraire fermement à l'existence d'un univers physique réel, décident de disperser dans l'espace 1000 copies de leur cité et d'eux-mêmes à la recherche d'extraterrestres réels, donc extèrieurs à leur sphère de conscience, afin de démontrer que la conception solipstique de l'univers est une illusion.
Ce qu'une des 1000 versions de la cité initiale restée sur Terre découvrira à l'issue du voyage, s'avère un pied de nez réjouissant qui conclue la nouvelle sur une très interessante fin ouverte qui autorise plusieurs interprétations vertigineuses.
Du grand art.
Pour voir développés de nombreux points à peine esquissés, j'ai plus que hâte de lire Diaspora tant cette nouvelle est riche de perspectives...
P.S : ce fil prenant le tour fort déplaisant d'un long monologue creux, je stoppe là ces "vignettes" en espérant pouvoir lire vos avis sur ce bouquin hors-norme.
Re: Océanique, de Greg Egan (novembre 2009)
scifictif a écrit :"[u]
P.S : ce fil prenant le tour fort déplaisant d'un long monologue creux, je stoppe là ces "vignettes" en espérant pouvoir lire vos avis sur ce bouquin hors-norme.
C'est ballot. Je suis avec attention tes critiques. Simplement j'ai pas le temps de lire en ce moment. Trop de boulot. Je salive à la lecture de tes critiques mais je peux pas aller plus loin pour le moment.
Modifié en dernier par M le 24 novembre 2009 à 18:18, modifié 1 fois.
"Sauvez un arbre, mangez un castor"
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Re: Océanique, de Greg Egan (novembre 2009)
Presque pareil que Farfadet. Dès que j'aurais pu me lancer dans la lecture de ce recueil, je tenterai de réagir à tes avis.
Re: Océanique, de Greg Egan (novembre 2009)
Eh bien je me languis de pouvoir en discuter avec vous.
A mi-parcours, le sentiment qui prédomine, pour reprendre des expressions lues ici ou là, c'est que ce recueil est une tuerie qui déchire grave sa race et détartre le slip de fond en comble.
En apparté, je souhaite remercier celui/celle/ceux des anthologistes qui a/ont eu la riche idée de faire précéder "Océanique" par "Les Tapis de Wang".
Ayant précédemment lu "Océanique" indépendamment dans Bifrost, les fondements de la religion présentée paraissaient alors d'aimables élucubrations mythologiques pour le moins farfelues. Ici, on comprend que ces dogmes dérivent de l'interprétation métaphorique d'évènements réellement survenus "pendant" et "après" "Les Tapis de Wang".
La nouvelle, qui n'en manquait pourtant pas, gagne encore en épaisseur, en profondeur.
Alors oui, merci. Et pas qu'un peu !
A mi-parcours, le sentiment qui prédomine, pour reprendre des expressions lues ici ou là, c'est que ce recueil est une tuerie qui déchire grave sa race et détartre le slip de fond en comble.
En apparté, je souhaite remercier celui/celle/ceux des anthologistes qui a/ont eu la riche idée de faire précéder "Océanique" par "Les Tapis de Wang".
Ayant précédemment lu "Océanique" indépendamment dans Bifrost, les fondements de la religion présentée paraissaient alors d'aimables élucubrations mythologiques pour le moins farfelues. Ici, on comprend que ces dogmes dérivent de l'interprétation métaphorique d'évènements réellement survenus "pendant" et "après" "Les Tapis de Wang".
La nouvelle, qui n'en manquait pourtant pas, gagne encore en épaisseur, en profondeur.
Alors oui, merci. Et pas qu'un peu !
Re: Océanique, de Greg Egan (novembre 2009)
Dès que j'ai plus de temps je m'y attaque.
Sinon quand j'en ferai la lecture, je ne t'oublierai pas.
Sinon quand j'en ferai la lecture, je ne t'oublierai pas.
"Sauvez un arbre, mangez un castor"
Re: Océanique, de Greg Egan (novembre 2009)
Pareil.scifictif a écrit :En apparté, je souhaite remercier celui/celle/ceux des anthologistes qui a/ont eu la riche idée de faire précéder "Océanique" par "Les Tapis de Wang".
Ayant précédemment lu "Océanique" indépendamment dans Bifrost, les fondements de la religion présentée paraissaient alors d'aimables élucubrations mythologiques pour le moins farfelues. Ici, on comprend que ces dogmes dérivent de l'interprétation métaphorique d'évènements réellement survenus "pendant" et "après" "Les Tapis de Wang".
Ce qui m'a rendu cette nouvelle, que je trouve un peu trop touffue (en particulier, il me semble que le pont est de trop), beaucoup plus intéressante qu'à la première lecture.
It is a great honor to be here with all of my friends. So amazing + will Never Forget!
Re: Océanique, de Greg Egan (novembre 2009)
W a écrit :il me semble que le pont est de trop
Plus que par souci d'exotisme, je présume qu'Egan a voulu signifier par ce biais qu'un transhumain qui se réincarne ne redevient pas humain pour autant.
Alors oui, ce pont fait un peu gadget, mais il n'est pas aussi anodin que ça.
P.S : existe-t-il une âme charitable lisant Egan en V.O qui pourrait me dire quel nom il donne à l'implant neural dans "Fidelity" ?
Parce qu'entre le "verrou" des QUARANTE-DEUX et le bulgaro-funky "stabilov" de Claude CALIFANO (dans "Futurs, mode d'emploi"), il y a de la marge...
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