Giovanni PAPINI, Gog
« Plus cynique qu’Ubu, plus sadique que Maldoror, plus cruel que Fantômas, plus drôle que Moravagine, GOG ! N’achetez surtout pas ce livre, vous le regretteriez. » Évidemment, avec une quatrième de couverture pareille, je ne pouvais que succomber ; d’autant que l’objet est, il faut bien le reconnaître, magnifique : maquette splendide, couverture avec jaquette et rabats, illustrations intérieures... miam.
Pourtant, il fallait tout de même un petit déclencheur pour pousser à l’acquisition de la bête. Ce déclencheur était tout trouvé : il s’agit de la bande-dessinée La Brigade chimérique, dans laquelle le personnage de Gog joue un rôle (secondaire, certes), en tant que leader fasciste et « surhomme » gardien de Rome. Disons-le de suite : c’est là un personnage très éloigné de la création de Giovanni Papini, qui emprunte en partie à son auteur, mais qui est beaucoup moins sympathique que les deux...
Quelques mots sur l’auteur, donc. Giovanni Papini a fini par se rallier (étrangement... ou pas ?) au christianisme puis au fascisme. Mais, à l’époque où il écrit Gog, en 1930, il est encore l’homme de toutes les avant-gardes, et a gardé bien des traits du misanthrope nihiliste qui avait écrit son autobiographie à l’âge de 25 ans sous le titre Un homme fini... Fouteur de merde de profession, il tire à boulets rouges sur tout ce qui bouge, et encore plus sur ce qui ne bouge pas assez ; après une période de frictions et quelques bagarres, cela lui vaut l’amitié des futuristes, sans trop de surprises (et Gog en témoigne, sur un ton parfois railleur ; il suffit pour s’en convaincre de lire le passage édifiant et génial sur la musique de l’avenir, où Luigi Russolo en prend un peu pour son grade... et John Cage aussi, tant qu’on y est !). Créateur d’innombrables revues, chantre de l’humour noir, il signe avec Gog son chef-d’oeuvre.
Gog est un roman hors-normes, prenant l’aspect d’une succession de très brèves saynètes, extraites d’un journal, sans que l’organisation chronologique ne soit certaine. On passe ainsi sempiternellement du coq à l’âne. C’est que Papini prétend avoir recueilli ces notes auprès de Gog lui-même, dans une institution psychiatrique, sans que l’illustre pensionnaire ne lui ait laissé d’indications quant à l’usage qu’il devait en faire...
Qui est Gog ? Un métis originaire d’une des îles Hawaï, né d’une mère indigène et d’un père blanc... mais inconnu. Quelqu’un qui a connu la misère dans sa jeunesse, mais qui, à force d’astuce, a réussi à se bâtir une fortune colossale, jusqu’à devenir un des hommes les plus riches du monde. Puis il a décidé de se retirer des affaires, par lassitude. Car Gog s’ennuie. Son argent ne l’amuse plus (il essaye, à un moment, de « nager dans l’or », pour vérifier l’expression ; c’est un échec...). Alors il cherche un quelconque intérêt à la vie en multipliant les rencontres de par le vaste monde (Ford, Gandhi, Einstein, Freud, etc., mais aussi d’illustres inconnus), en se lançant dans des projets démiurgiques, ou en entamant d’étranges collections (d’êtres humains, le plus souvent) dans son repaire de New Parthénon. Tout cela entre deux séjours à l’asile...
Gog, finalement, est une sorte de conte philosophique, placé sous le signe de l’humour noir et de la misanthropie ; et son « héros », si sympathiquement monstrueux (encore que...), est en quelque sorte un anti-Candide. La charge est féroce, qui n’épargne rien ni personne : tous les thèmes ou presque, à vrai dire, sont abordés, même si certains ont la préférence de l’auteur (la critique littéraire, par exemple...). Et Papini de se montrer régulièrement visionnaire, sous son masque de clown sadique ; il tape dur, mais souvent juste.
À la pertinence de la critique, il faut encore ajouter l’inventivité phénoménale des tableaux. Gog lorgne plus qu’à son tour vers le surréalisme, le fantastique, ou si l’on y tient le « réalisme magique » (On pense régulièrement à Borges). Sans jamais quitter totalement le domaine du rationnel, il infuse suffisamment de bizarreries dans sa trame et dans son discours pour que l’on puisse le qualifier de « transfiction ».
Si le style est assez simple – les chapitres sont pour l’essentiel de longs monologues qu’écoute attentivement Gog –, l’humour de Papini fait par contre mouche à tous les coups. Son sens de la parodie est tout à fait remarquable, son ironie est ravageuse. Gog est un roman bicéphale, finalement assez sérieux sous ses dehors de farce : il donne à penser, mais, avouons-le, il est avant tout très drôle, et c’est déjà beaucoup...
En somme : GOG ! Achetez ce livre, vous ne le regretterez pas.
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