Zanzibar Quarterly & Co, n° 1
« De l’audace, de l’audace, toujours de l’audace ! », comme disait l’autre. Hélas, en France, en matière de littérature, il faut croire que, à la différence du crime, ça ne paye pas toujours. Ce premier numéro de Zanzibar Quarterly & Co aura ainsi été le dernier. Et c’est bien dommage. Parce que cette éphémère « revue » aura fait l’effet d’un salutaire météore dans le ciel de l’édition française. Zanzibar Quarterly & Co : « Nouvelles, poésies, courts essais, interviews, articles remarquables et illustrations mêlés. Foutraque mais propre sur lui. Onéreux mais généreux. Égoïste mais amical. » Un programme plus qu’alléchant, non ? Et encore, il faut voir la bête, la tenir dans ses mains, pour saisir pleinement tout ce que cela implique. « Onéreux », certes : 29 €. Mais quel beau bébé ! Couverture rigide, jaquette poster, (différentes sortes de) papier de qualité, mise en page variée mais toujours au poil, superbes illustrations où la couleur est de la partie… et même une pin-up. Que demande le peuple ?
Marc Lévy.
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Bon, mais le peuple est con. Le peuple aurait dû acheter cette revue par palettes entières, ne serait-ce que pour la beauté du geste, et la beauté de la chose. Ce n’est pas tous les jours qu’une revue présente un aussi bel aspect, tout de même. Et, figurez-vous, ça n’en fait pas une coquille vide pour autant : le contenu est à l’avenant du contenant, et donc, pour ainsi dire, particulièrement miam.
Détailler par le menu tout ce que renferme cet improbable bouquin (qui s’intéresse avant tout à la littérature anglo-saxonne, mais pas que) serait sans doute fastidieux (c’est que c’est dense, en prime, sans jamais nuire au confort de lecture pour autant). Je me contenterai donc d’en noter ici les grandes lignes, en m’attardant sur ce qui m’a le plus séduit. Ce qui, comme vous allez pouvoir le constater, fait déjà pas mal de choses.
Je commencerai ainsi par noter le passionnant article de David Lipsky consacré à David Foster Wallace, qui fait l’objet d’un petit dossier ; assurément de quoi donner envie de découvrir cet auteur, dont La Fonction du balai dort dans ma pile à lire depuis bien trop longtemps, et dont Au Diable Vauvert a publié d’autres ouvrages qui ont également l’air de valoir leur pesant de cacahuètes. Une interview complète cet article, avec les mêmes qualités. Les nouvelles l’encadrant sont par ailleurs fort sympathiques dans l’ensemble [...].
Le deuxième axe de cet unique numéro de Zanzibar Quarterly & Co concerne la figure emblématique de Billy the Kid (pourquoi pas, hein ?). Si les brefs et répétitifs articles de Louis Skorecki m’ont paru très dispensables, il n’en va pas de même du reste ; je retiens essentiellement deux excellentes nouvelles, tout d’abord la passablement expérimentale « On ne crache pas sur l’homme mort » de Sébastien Doubinsky, puis, surtout, « Du vieux avec du neuf » de Luc Baranger, très jolie nouvelle richement documentée qui prend prétexte de la survie éventuelle de Billy the Kid pour nous livrer tout un pan de l’histoire mythique du Far West. Excellent.
Mais le grand temps fort de cette revue est à mes yeux assurément la fabuleuse nouvelle de Raphaël Aloysius Lafferty délicieusement intitulée « Le Monde comme volonté et comme papier peint », un vrai petit bijou fantasque dans lequel on retrouve tout ce qui fait le talent de l’auteur de Tous à Estrevin. Ce qui m’a très certainement convaincu de pousser plus avant la découverte de cet auteur hors-normes ; m’étonnerait pas que je vous en recause un de ces jours (notamment, par exemple, pour Les Quatrièmes Demeures, également publié par Zanzibar, qui avait de très ambitieux projets concernant Lafferty… hélas… mais je me répète). La nouvelle est par ailleurs complétée par un essai de William Morris, personnage souvent évoqué dans le texte de Lafferty, « L’Âge de l’ersatz » : qui lirait cette conférence dans le vide y verrait probablement une critique acerbe (et un tantinet réac…) de notre société de consommation ; évidemment, les choses changent quelque peu, quand on prend conscience que ce texte date de 1894…
Le dernier axe de ce numéro est musical, et c’est que du bonheur. « Les Habitués » de Dave Reidy est ainsi une très bonne nouvelle, cruelle au possible, très forte sur le plan émotionnel. Notons également « Won’t Get Fooled Again » de Jim Shepard, « souvenirs » plus vrais que nature de John Entwistle des Who. Malgré son amertume frôlant l’anti-américanisme bien eud’chez nous, on relèvera également « Memphis 2001 » de Michel Embareck, qui a clairement une jolie plume. Et pour la bonne bouche – bave aux lèvres – on mentionnera enfin « Le Mix pour séduire une femme qui porte de la lingerie de qualité » de Kris Saknussemm, qui fait – broumf – envie.
Je n’ai pas parlé de tout ; mais ne pas en déduire que le reste est mauvais (la nouvelle d’Anne-Sylvie Salzman, « Fox Into Lady », est à titre d’exemple tout à fait recommandable). En fait, il n’y a quasiment rien à jeter dans ce gros et beau numéro, rempli jusqu’à la gueule de belles et bonnes choses. Ainsi des nombreuses illustrations qui l’émaillent, dont une BD et un portfolio.
Voilà ce que j’appelle une revue de qualité. On se prend à rêver, particulièrement dans notre marigot SF, d’aussi belles réussites… Mais bon. Il faut croire que les gens de Zanzibar ont été trop ambitieux. Et que l’ambition, contrairement à ce qu’on nous serine à longueur de journées, ne paye pas forcément (littéralement). Il n’y aura donc pas de deuxième numéro de Zanzibar Quarterly & Co. Et c’est dommage. Je dirais même plus : c’est injuste. Parce que ce que ces gens ont fait là méritait assurément d’être payé de retour. Zanzibar Quarterly & Co n’était sans doute pas une revue viable… Mais cela ne doit pas constituer une raison pour passer à côté de cette merveille.
Une étoile filante, vous dis-je. Ou un papillon générateur de tempêtes : éphémère, mais quand même vach’ment beau et vach’ment balaise.
Zanzibar Quarterly & Co, n° 1
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