Robert M. PRICE (dir.) - Le Cycle de Dunwich

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Robert M. PRICE (dir.) - Le Cycle de Dunwich

Messagepar Nébal » 08 juin 2011 à 07:36

Robert M. PRICE (dir.), Le Cycle de Dunwich

En son temps, Chaosium, l’éditeur américain du jeu de rôles L’Appel de Cthulhu, avait publié toute une série de recueils et d’anthologies de nouvelles lovecraftiennes, qui furent reprises en français par Oriflam (ce qui explique sans doute, hélas, que l’on y retrouve quelques défauts caractéristiques de l’édition de jeu de rôle, à savoir un nombre de coquilles assez conséquent et des traductions parfois approximatives…). Le Cycle de Dunwich n’en est qu’un parmi tant d’autres (j’ai mis la main sur six d’entre eux à des prix modiques), mais qui adopte une forme un peu particulière : en effet, il se focalise tout particulièrement sur la nouvelle de Lovecraft « L’Abomination de Dunwich » (pas la pire) ; les autres textes du recueil sont pour la plupart tournés vers ce texte unique, qu’ils en constituent des influences (pour les deux longues nouvelles d’Arthur Machen qui le précèdent) ou des suites ou variations – s’attardant généralement sur la famille Whateley. L’ensemble est préfacé et présenté par Robert M. Price, qui, on aura l’occasion de le constater dans ce recueil, se révèle à mes yeux bien meilleur « essayiste » qu’auteur de fictions…

Passons sur la couverture hideuse et passablement hors-sujet, et abordons directement les textes. J’avoue, j’ai dans un premier temps eu du mal à voir ce que « Le Grand Dieu Pan » d’Arthur Machen, que j’avais déjà lu il y a de cela une éternité, foutait là. Certes, je me souvenais – pour avoir relu récemment « L’Abomination de Dunwich » dans Les Terres de Lovecraft : Dunwich – que ce fameux texte était cité dans la nouvelle de Lovecraft, mais cela me paraissait une bien pauvre raison pour l’inclure dans ce recueil… Or, il y est en fait tout à fait à sa place : la démonstration de Robert M. Price qui en fait une influence déterminante du texte lovecraftien parle d’elle-même, et ne saurait être contestée ; nous avons bien là « l’ancêtre » (féminin) de Wilbur Whateley et de son frère jumeau, et Lovecraft, à vrai dire, ne s’en est pas caché. Dès lors, c’est à bon droit que le recueil s’ouvre sur ce texte séminal. On pourra le juger un tantinet artificiel, dans sa tendance à accumuler les coïncidences, mais ça n’en reste pas moins de la belle ouvrage, délicieusement « fin de siècle » et tout à fait efficace.

« Le Peuple blanc »
, toujours d’Arthur Machen, constitue là encore à l’évidence une inspiration de « L’Abomination de Dunwich » (ne serait-ce que pour son vocabulaire, et l’idée du journal). Si la nouvelle débute assez mal, par un dialogue verbeux et confus sur la notion de péché, l’essentiel, constitué par le journal intime d’une enfant, est tout à fait intéressant, et, une fois de plus, bien à sa place.

Suit – bien évidemment – « L’Abomination de Dunwich » d’H.P. Lovecraft. Je ne reviendrai pas ici sur la qualité de cette nouvelle – je m’étais déjà répandu à ce sujet en traitant de Les Terres de Lovecraft : Dunwich –, mais je noterai cependant cette très intéressante et pertinente remarque de Robert M. Price, montrant que ce texte, pourtant un classique du Mythe, n’est finalement, et étrangement, guère « lovecraftien », mais plutôt, tout anachronisme mis à part, « derlethien »… Pas faux. Je n’y avais jamais réfléchi, mais ça se tient.

Quoi qu’il en soit, avec ces trois seuls textes, nous en sommes déjà à la moitié du recueil. Et, à ce point, c’est une lecture tout à fait recommandable. C’est sans surprise après que les choses se gâtent dans l’ensemble… Je ne reviendrai pas ici sur les difficultés inhérentes au pastiche lovecraftien – j’en avais déjà rapidement traité pour le très mauvais HPL 2007 –, mais les nouvelles qui suivent en sont presque toutes un témoignage édifiant.

Nous parlions d’August Derleth : c’est lui qui ouvre le bal des « continuateurs » avec « La Chambre close » (qui fut adaptée au cinéma, aspect surnaturel en moins… et reprise en livre par la suite). Une nouvelle assez peu convaincante, avec de grosses ficelles, et une tentative que l’on retrouvera souvent par la suite d’unifier les « mythologies » respectives de Dunwich et d’Innsmouth. Ça se lit sans trop de douleurs, mais ce n’est quand même qu’une série B de base, peu digne de son sujet – même si la décrépitude et la dégénérescence de Dunwich y sont plutôt bien rendues.

Robert M. Price livre ensuite un curieux texte avec « La Tour ronde (ou le récit d’Armitage Harper) ». L’auteur part du constat que, parmi les « suites » de « L’Abomination de Dunwich », la plus longue – et la plus célèbre –, à savoir le roman d’August Derleth Le Rôdeur sur le seuil (que j’avais lu tout gamin, je n’en ai plus aucun souvenir… c’est une des « collaborations posthumes » de Derleth), pèche dans sa construction, en raison d’une troisième et dernière partie peu convaincante et sans véritable rapport avec ce qui précède. D’où l’idée – qu’on pourra trouver un tantinet gonflée, mais, après tout, c’est dans un sens ce que Derleth lui-même faisait avec Lovecraft, et cela participe du caractère mythologique des écrits lovecraftiens – de « refaire » la fin du roman, d’une manière plus « logique » : le résultat est cette nouvelle. Fâcheux problème : ne me souvenant pas du tout du Rôdeur sur le seuil, j’ai eu du mal à me plonger dans cette suite… malgré les tentatives atrocement bavardes et pénibles de l’auteur pour raccrocher les wagons en rappelant « ce qui précède ». Au final, on s’emmerde méchamment à la lecture de cette « nouvelle » verbeuse au possible et pas crédible pour un sou. Un ratage en beauté.

« Le Saut du Diable » de Richard A. Lupoff ne mérite guère qu’on s’y attarde. Très maladroite, cette « variation » est dénuée du moindre intérêt.

Une bonne surprise ensuite avec « La Route de Dunwich » de Ben Indick : rien de très original – une « variation » de plus –, mais l’auteur a le bon goût de ne pas s’essayer à pasticher le style de Lovecraft, et a su donner à sa nouvelle une ambiance plutôt réussie, pour un résultat aussi émouvant qu’horrifiant.

« La Maison dans l’arbre », de W.H. Pugmire & Robert M. Price, commence plutôt bien, de manière guère originale là encore – la trame est typiquement lovecraftienne, entre Innsmouth et Dunwich, à nouveau –, mais s’achève hélas sur un grand moment de ridicule – sans douté non dénué d’humour, c’est après tout ce que la dernière phrase suggère, mais néanmoins très frustrant… Dommage.

C.J. Henderson, avec « Vous ne l’emporterez pas avec vous », tente de mêler mythologie lovecraftienne – Dunwich et Innsmouth, là encore – et polar hard-boiled – ce que Kim Newman avait très bien fait dans sa nouvelle reprise dans Les Nombreuses Vies de Cthulhu. Mais c’est ici nettement moins convaincant (euphémisme) : tout est grotesque dans ce récit maladroit au possible, et qui ne convainc pas un seul instant. Raté.

Le recueil se conclut enfin sur « Wilbur Whateley rêve et attend » de Robert M. Price (toujours), nouvelle partant du postulat que ledit Wilbur Whateley n’est pas véritablement mort dans la bibliothèque de l’Université Miskatonic. Le voilà donc qui revient à notre époque – c’est relativement humoristique, et, on va dire, bon prince, correct.

Pas de miracle : Le Cycle de Dunwich est un livre très bancal, qui contient le pire comme le meilleur. L’ensemble – surtout, il faut bien le dire, grâce à Machen et Lovecraft – est cependant moins médiocre que ce que l’on pouvait craindre. Et, à défaut d’être un recueil véritablement séduisant sur le pur plan littéraire, on peut y voir une aide de jeu éventuellement utile pour un Gardien des Arcanes désireux d’ancrer une campagne dans l’arriérée Dunwich. Pourquoi pas…

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