Hop !
Une fois n’est pas coutume, je vais ouvrir ce compte rendu sur une banalité : j’ai déjà eu maintes fois l’occasion de dire du bien de Clifford D. Simak. En multipliant ici ou là les allusions à son chef-d’œuvre Demain les chiens, notamment, mais aussi en traitant de manière plus approfondie de Voisins d’ailleurs ou Au carrefour des étoiles. J’ai aimé, chez cet auteur du soi-disant « âge-d’or-de-la-science-fiction™ », ses fameuses atmosphères bucoliques, son profond humanisme (encore que le terme ne soit pas forcément bien choisi, mais voir plus bas), son imagination débridée enfin.
[...]
Adonc, Dans le torrent des siècles. Ce roman, c’est tout d’abord un pitch formidable, que je m’en vais tâcher de vous présenter (ce qui ne s’annonce pas facile, le roman étant foisonnant comme peu le sont). Nous sommes plusieurs millénaires dans le futur. L’humanité a essaimé à travers la galaxie. Partout, sauf sur 61 du Cygne, pour une raison inconnue. On y a envoyé il y a vingt ans de cela Asher Sutton afin de percer ce mystère. Mais à l’évidence Asher Sutton est mort…
Mais un soir, Christopher Adams, une sorte de super chef de la sécurité, reçoit la visite d’un étrange individu prétendant venir du futur, et lui disant qu’Asher Sutton va rentrer ; mais ce n’est pas tout : il demande qu’on l’abatte à vue… car il ne faut pas qu’il écrive un certain livre.
Or peu de temps après, Asher Sutton revient effectivement sur Terre, dans un vaisseau endommagé, sans carburant, sans air, sans vivres. Comment a-t-il fait pour survivre ? Mais est-ce seulement lui ? Ou plus exactement s’agit-il encore d’un humain ? Car il se pourrait bien qu’Asher Sutton soit mort depuis longtemps, en fin de compte…
Quoi qu’il en soit, le bonhomme se retrouve au centre d’un très complexe affrontement opposant des factions mystérieuses à travers l’espace… et le temps. Et la clé de l’énigme pourrait bien se trouver quelques siècles dans l’avenir… ou par une après-midi ensoleillée de juillet 1977, dans une ferme du Wisconsin.
Alléchant, non ? Moi, des pitchs comme ça, j’en redemande volontiers. C’est énigmatique à souhait, à l’évidence d’une richesse et d’une densité extrême – époque heureuse où les romans de science-fiction se montraient d’une inventivité phénoménale, plutôt que de pratiquer le tirage à la ligne contemporain, rhalala c’était mieux avant (faut que je fasse gaffe, à force de lire Simak, je pourrais moi aussi tourner réac !) –, bref, tous les ingrédients semblent réunis pour donner un très bon, un très grand roman de SF.
Donc Dans le torrent des siècles est un très bon, un très grand roman de SF.
…
Sauf que je me suis fait chier comme un rat mort à le lire.
Non, plus, en fait, vu que le rat, lui, au moins, il est mort.
(Oui, je sais, je l’ai déjà faite, celle-là.)
À cela essentiellement trois raisons : la première, et la plus flagrante, tient au style. Mondieumondieumondieu. C’est tout simplement ATROCE. Or, sans faire de Simak un grand styliste, je n’avais pas eu ce ressenti à la lecture de ses autres ouvrages, cités en tête de ce compte rendu ; donc, même si je n’exclus pas sa part de responsabilité – elle ne saurait faire de doute par endroits –, la faute en incombe probablement au traducteur, Georges H. Gallet, qui, m’est avis, a salopé le boulot. Et là, très franchement, c’était trop pour moi. Ado, j’aurais sans doute pu faire l’impasse là-dessus : c’était l’époque où, après tout, je n’attendais pas autre chose d’un livre qu’une bonne histoire – or l’histoire de Dans le torrent des siècles est dans l’ensemble très bonne (mais voir plus bas, cependant). Mais aujourd’hui, je ne peux plus. Nope. A pu possib’. Au risque de passer (une fois de plus) pour un traître à la Cause, je réclame de mes lectures science-fictionnelles un minimum de style ; et là, c’est peu de dire qu’on est très loin du compte : on est vraiment dans ce qui se faisait de pire en matière de traductions à l’arrache. Du coup, j’ai peiné, mais peiné sur ce livre, alors qu’il méritait sans doute bien mieux… Or, à ce que j’en ai vu sur la NooSFere, c’est toujours cette seule traduction qui est disponible aujourd’hui ; ben en voilà une qu’il serait bon de dépoussiérer…
La deuxième raison tient à l’histoire, et le pitch, dans toute sa richesse, vous en a peut-être déjà donné une idée : Dans le torrent des siècles est un « roman touffu à l’extrême, le plus vanvogtien de l'auteur (space opera doublé d’un time opera centré sur l’existence d’un super-héros qui, au départ, ne connaît ni l’étendue de ses pouvoirs ni le but ultime qui le motive inconsciemment) », pour reprendre les mots de Denis Philippe. Or vous savez dans quelle estime je tiens Van Vogt… Ben oui, difficile de prétendre le contraire : même si j’ai trouvé le pitch alléchant, il faudrait être le dernier des hypocrites (ou des aveugles) pour ne pas y voir des traits vanvogtiens. Et régulièrement, avec un frisson, je n’ai pu m’empêcher de penser au Monde des Ā, cet odieux machin « bâti » (?) sur un canevas finalement assez proche. Et, parfois, les reproches que j’adresse habituellement à Van Vogt m’ont semblé applicables à Simak dans ce roman : une certaine tendance au partage en couille, et, avouons-le, un côté super-héros à baffer chez Asher Sutton, qui fait plus qu’à son tour penser à Gilbert Gosseyn…
La troisième raison est propre à Simak. Et là, surprise : c’est son « humanisme » (en l’occurrence, ici, le terme n’est pas très bien choisi, sans doute, puisqu’il s’agit de dépasser l’humain et sa soi-disant « destinée manifeste » – le choix de ce dernier terme n’est bien évidemment pas innocent…) qui m’a saoulé. En temps normal, j’aime beaucoup l’humanisme simakien. Mais, cette fois, il en fait tout simplement trop, d’autant que le roman, en versant parfois dans la philosophie (de comptoir), tend à se montrer horriblement bavard. Ce qui nous vaut des pages et des pages de « réflexions » sur la « destinée » d’une niaiserie insupportable… que, si j’étais méchant, je dirais qu’un Bernard Werber pourrait les reprendre à son compte aujourd’hui ; heureusement que je ne suis pas méchant.
Reste quoi, alors ? Un pitch formidable, oui. Et, tout de même, quelques pages superbes – je ne parle bien évidemment pas du style, groumf… –, qui viennent remonter le niveau : sans véritable surprise, il s’agit essentiellement des scènes prenant place au XXe siècle, dans le Wisconsin rural cher au cœur de Simak. On ne fait pas exactement dans le progressiste, ici, tout cela sent fort le « retour à la terre » et peut donc asticoter les narines les plus sensibles, mais les faits sont là : c’est ici que Simak se montre à son meilleur.
Donc [...] je ne peux pas prétendre avoir aimé Dans le torrent des siècles (même si je pense, encore une fois, que la traduction y est pour beaucoup). Je ne saurais donc non plus en recommander la lecture. Contemporain de ce roman, mieux vaut lire, et de loin, l’immense Demain les chiens. Il ne faudrait en effet pas rester sur une mauvaise impression à cause de Dans le torrent des siècles : je vais conclure sur une banalité, ainsi que j’ai commencé, mais Simak est bel et bien un grand auteur de « l’âge-d’or-de-la-science-fiction™ », et cette fausse note ne m’empêchera pas de poursuivre la découverte de son œuvre.
Clifford D. SIMAK - Dans le torrent des siècles
- Pierre-Paul Durastanti
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Re: Clifford D. SIMAK - Dans le torrent des siècles
S'il n'y avait que ce bouquin de Simak à dépoussiérer au niveau de la trad', ce serait géant, mais c'est loin d'être le cas. Même Demain les chiens, honnêtement... Je n'ai pas relu Chaîne autour du soleil en français depuis des lustres, mais je crains le pire. Et s'il n'y avait que Simak! (Oui, Le maître du Haut Château, c'est à toi que je pense, entre autres.)
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Re: Clifford D. SIMAK - Dans le torrent des siècles
C'est sans doute vrai. Mais ces autres romans, je les ai lus il y a de ça un moment, à une époque où j'y faisais moins attention que maintenant...
Là, par contre, je me le suis pris en pleine gueule.
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Re: Clifford D. SIMAK - Dans le torrent des siècles
J'ai connu le même problème avec Le Pêcheur...
Jamais relu "Dans le torrent des siècles" ; je me rappelle avoir aimé, mais j'en ai zéro souvenir. Pourtant, Simak, je suis fan. Je me souviens bien plus facilement de romans (soi-disant) mineurs comme "Le dernier cimetière" ou "héritiers des étoiles"...
Jamais relu "Dans le torrent des siècles" ; je me rappelle avoir aimé, mais j'en ai zéro souvenir. Pourtant, Simak, je suis fan. Je me souviens bien plus facilement de romans (soi-disant) mineurs comme "Le dernier cimetière" ou "héritiers des étoiles"...
Re: Clifford D. SIMAK - Dans le torrent des siècles
Tu m'avais bien accroché avec le pitch, mais je n'irais pas plus loin vu ce que tu en dis après.
Re: Clifford D. SIMAK - Dans le torrent des siècles
Oui mais en même temps, le forum du Bélial', hein...
- Pierre-Paul Durastanti
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Re: Clifford D. SIMAK - Dans le torrent des siècles
nolive a écrit :Oui mais en même temps, le forum du Bélial', hein...
Quoi, tu sous-entend que notre forum n'accueille que de petites bites? Bon, ça va chier. Tête, ou bide?
;)
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