L'ère du numérique... et les forces en présence

T. Di R.

Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar T. Di R. » 24 novembre 2009 à 13:15

Patrice a écrit :Salut Thierry,

Ma foi, je persiste à penser que le livre et le disque ça n'est pas la même, que les gens n'ont pas le même comportement en face. Ce qui est normal.
Un disque ou un film, c'est en moyenne une heure et demi de bonheur. On zappe en permanence.

Un livre, c'est combien d'heures? On ne peut pas avoir le même mode de consommation face à ces "produits".

Mais encore une fois, je reviens sur mon exemple russe: là-bas l'offre gratuite est massive, et pourtant les ventes de livres sont bonnes. On ne peut pas en dire autant des disques, qui sont massivement piratés, et pour lesquels les ventes légales sont marginales.

A+

Patrice


C'est vrai que la "consommation" d'un livre n'est pas du même ressort qu'un film ou une chanson. L'exemple russe pourrait donner quelque espoir sur la pérennité du support papier. Mais le marché des lecteurs numériques a-t-il eu le temps de percer en Russie, à ce jour? Si moi, je relis désormais mes manuscrits de romans sur lecteur (avant soumission) parce que c'est largement plus pratique, d'autres ont forcément vécu la même expérience, à leur propre aune de lecteurs. Essaie un lecteur Sony, par ex., et tu verras.
Jérôme Noirez
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Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar Jérôme Noirez » 24 novembre 2009 à 13:29

Je partage globalement l'opinion de Thierry. En tout cas, je n'attends rien du livre numérique à part une accélération du processus d'agonie (mais je n'attribue pas au piratage cette précipitation).

Cela dit, nous (les auteurs, traducteurs,directeurs de collections, ceux qui touchent des droits d'auteur) nous retrouvons dans une situation inédite et pas déplaisante : celle de pouvoir imposer nos vues aux éditeurs. Ils ne peuvent faire le passage au numérique sans notre accord. Si nous ne sommes pas complètement cons (ce que les éditeurs qui nous proposent des DA numériques équivalents aux DA papier ont l'air de croire), nous saurons en tirer LEGITIMEMENT profit. Ce qu'on peut craindre, c'est qu'un nombre conséquent d'auteurs signent les yeux fermés et qu'une minorité éclairée ne suffise pas.

Jean-Marc Ligny propose sur le blog d'Ayerdhal qu'une lettre type posant nos exigences soit rédigée et envoyée aux intéressés en lieu et place du contrat qui nous lèse. J'appuie cette proposition. Elle aurait aussi l'avantage de fournir un cadre de réflexion aux éditeurs de bonne volonté.

Et puis, il faudra bien que le législateur s'en mêle à un moment à un autre, parce que quid du prix unique du livre ?
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Gutboy
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Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar Gutboy » 24 novembre 2009 à 14:11

T. Di R. a écrit :Le noeud du problème est économique et se résume aux marges, à mes yeux
Je suis loin d'être un spécialiste du domaine, mais il me semble davantage que le problème est celui des intermédiaires: les supports modernes en autorisent la suppression pure et simple. En matière artistique - musique film et romans, le terme "directement du producteur au consommateur" est en train de prendre une dimension très réelle. Les intermédiaires actuels paniquent, vu qu'ils sont en passe -dans leur grande majorité - de disparaitre. Ou plutot, ici comme ailleurs, les gros blocs monolithiques sont en passe de disparaitre.

Sur l'interet de l'édition numérique gratuite, et bien qu'un exemple ne soit pas une règle, voir l'interview de Peter Watts et ce qu'il dit aà propos de Blindsight sur le site d'ActuSF :
D’un autre côté, j’ai mis Blindsight en ligne gratuitement un mois à peine après sa sortie en librairie, et la publicité provoquée a fait tripler les ventes du grand format la semaine suivante. Je suis certain d’avoir, sur le plan commercial, sauvé Blindsight en le mettant en ligne. Je suis sûr que Tor l’avait considéré comme faisant déjà partie des cadavres avant même que le livre n’atteigne les rayons -Ils n’étaient absolument pas préparés à la demande qui a déferlé quand le bruit a couru, et pendant un certain temps, l’édition en ligne Creative Commons était la seule façon de le lire. Dans beaucoup de librairies, il restait introuvable. C’est ce cadeau qui a créé le bouche-à-oreille, déclenché la pompe pour ainsi dire. Rien de ce qui s’est produit ensuite, les traductions, les nominations aux récompenses, les apparitions de Blindsight comme manuel dans des cours de philosophie ou de neuropsychologie - rien ne se serait produit si un nombre considérable de gens n’avait eu l’occasion de lire le livre. Et c’est l’édition en ligne Creative Commons qui le leur a permis. "
People with no interest in science are very well catered for in science fiction; 99% of SF is written for them. I make no apology for contributing to the 1% that treats science as something of interest in its own right. Greg Egan
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Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar T. Di R. » 24 novembre 2009 à 14:16

Jérôme Noirez a écrit :Je partage globalement l'opinion de Thierry. En tout cas, je n'attends rien du livre numérique à part une accélération du processus d'agonie (mais je n'attribue pas au piratage cette précipitation).

Cela dit, nous (les auteurs, traducteurs,directeurs de collections, ceux qui touchent des droits d'auteur) nous retrouvons dans une situation inédite et pas déplaisante : celle de pouvoir imposer nos vues aux éditeurs. Ils ne peuvent faire le passage au numérique sans notre accord. Si nous ne sommes pas complètement cons (ce que les éditeurs qui nous proposent des DA numériques équivalents aux DA papier ont l'air de croire)*, nous saurons en tirer LEGITIMEMENT profit. Ce qu'on peut craindre, c'est qu'un nombre conséquent d'auteurs signent les yeux fermés et qu'une minorité éclairée ne suffise pas.**

Jean-Marc Ligny propose sur le blog d'Ayerdhal qu'une lettre type posant nos exigences soit rédigée et envoyée aux intéressés en lieu et place du contrat qui nous lèse. J'appuie cette proposition. Elle aurait aussi l'avantage de fournir un cadre de réflexion aux éditeurs de bonne volonté.***

Et puis, il faudra bien que le législateur s'en mêle à un moment à un autre, parce que quid du prix unique du livre ?****

* Non, sans blague? :-)

** C'est vrai que la situation est inédite. Et c'est vrai aussi que le risque que quelques uns signent est patent.

*** Je souscris aussi, Jérôme.

**** Pas faux :-)
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Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar Herbefol » 24 novembre 2009 à 14:44

Personnellement j'insiste sur l'attitude des éditeurs vis-à-vis de la distribution. Soit ils le font eux-mêmes et vous avez une chance de vous en sortir, soit ils laissent ça aux mains d'amazon et là l'avenir va être difficile pour vous (auteurs, traducteurs, etc.).
D'ailleurs, histoire d'enfoncer un peu le clou, je pense que les labels de small press ont un très bon coup à jouer avec internet et la numérisation, du moins s'ils ont la capacité, et la volonté, de distribuer eux-mêmes leurs ouvrages.

Sinon j'abonde dans le sens de W, le budget loisir s'est alourdi ces quinze dernières années des téléphones portables (en général plusieurs par foyer et les forfaits restent chers en France), d'un lecteur dvd, de consoles de jeux, pc avec internet haut-débit, etc. Autant de concurrence pour le cd. Et de l'autre côté les ménages les moins aisés ont du faire façon à une hausse assez conséquente des dépenses incontournables (au premier plan : le loyer). Bref, piratage ou pas les ressources financières se raréfient et les concurrents sont plus nombreux : il était normal que le cd en souffre.
Les éditeurs de cds ont aussi cru que les gens allaient continuer à renouveler leur catalogue éternellement. Je suis désolé, mais une fois remplacé en cd les vieux 33 tours, y a pas de raison d'en acheter plus. :p

Enfin, au niveau des protections, type drm et autres, la seule chose que peut faire ce genre de mesure c'est faire perdre du fric aux éditeurs. Ce sont des solutions qui sont parfois onéreuses, qu'il faut faire évoluer sans cesse (donc d'autant plus cher), peu efficace car cassées trop rapidement, et contre-productives (quand les gens qui ont des fichiers légaux ont plus de mal à les utiliser que les fichiers illégaux, il y a un problème).

Maintenant il ne faut pas se leurrer, ce sera comme tout changement ou mutation : il y aura des morts, ceux qui surnageront, ceux qui passeront à travers comme si de rien n'était et ceux qui tireront leur épingle du jeu. Reste à savoir qui sera quoi.
L'affaire Herbefol
Au sommaire : La pointe d'argent de Cook, Black Man de Morgan, Navigator de Baxter, Cheval de Troie de Wells & The Labyrinth Index de Stross.
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Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar T. Di R. » 24 novembre 2009 à 14:56

Gutboy a écrit :Sur l'interet de l'édition numérique gratuite, et bien qu'un exemple ne soit pas une règle, voir l'interview de Peter Watts et ce qu'il dit aà propos de Blindsight sur le site d'ActuSF :
D’un autre côté, j’ai mis Blindsight en ligne gratuitement un mois à peine après sa sortie en librairie, et la publicité provoquée a fait tripler les ventes du grand format la semaine suivante. Je suis certain d’avoir, sur le plan commercial, sauvé Blindsight en le mettant en ligne. Je suis sûr que Tor l’avait considéré comme faisant déjà partie des cadavres avant même que le livre n’atteigne les rayons -Ils n’étaient absolument pas préparés à la demande qui a déferlé quand le bruit a couru, et pendant un certain temps, l’édition en ligne Creative Commons était la seule façon de le lire. Dans beaucoup de librairies, il restait introuvable. C’est ce cadeau qui a créé le bouche-à-oreille, déclenché la pompe pour ainsi dire. Rien de ce qui s’est produit ensuite, les traductions, les nominations aux récompenses, les apparitions de Blindsight comme manuel dans des cours de philosophie ou de neuropsychologie - rien ne se serait produit si un nombre considérable de gens n’avait eu l’occasion de lire le livre. Et c’est l’édition en ligne Creative Commons qui le leur a permis. "

Euh! Je ne joue pas dans la même cour que Watts, Gutboy. Je ne suis pas un écrivain potentiellement vendeur. Et je n'ai pas honte de le dire, d'ailleurs.

Herbefol a écrit :Maintenant il ne faut pas se leurrer, ce sera comme tout changement ou mutation : il y aura des morts, ceux qui surnageront, ceux qui passeront à travers comme si de rien n'était et ceux qui tireront leur épingle du jeu. Reste à savoir qui sera quoi.

Le système de la diffusion numérique des oeuvres littéraires - piratées ou non, protégées ou non, etc. - ne favorisera que les auteurs... potentiellement vendeurs, précisément. Certains éditeurs couveront toujours leurs poulains, parce qu'ils effectuent un véritable boulot d'éditeur, mais les places, pour les moins rentables des écrivains, seront tout de même chères à cause du rétrécissement de la demande "payante".

Je travaille dans un quotidien régional depuis 26 ans, maintenant. Nous avons subi de plein fouet la gratuité des torchons genre "Métro" et "20 minutes". Quoi qu'on en dise, cette gratuité nous a aliéné pour toujours une part du lectorat. En centre ville, là où je vis, le titre local ne vend plus d'exemplaires, phagocyté entièrement par les gratuits...
Modifié en dernier par T. Di R. le 24 novembre 2009 à 15:00, modifié 2 fois.
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Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar Patrice2 » 24 novembre 2009 à 14:58

Salut,

Mais le marché des lecteurs numériques a-t-il eu le temps de percer en Russie, à ce jour? Si moi, je relis désormais mes manuscrits de romans sur lecteur (avant soumission) parce que c'est largement plus pratique, d'autres ont forcément vécu la même expérience, à leur propre aune de lecteurs. Essaie un lecteur Sony, par ex., et tu verras.


Là effectivement, tu as tout à fait raison. Ils sont aussi en retard que nous sur ce point. Mais lisent déjà abondamment sur téléphone portable, comme les Japonais.

A+

Patrice
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Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar T. Di R. » 24 novembre 2009 à 15:01

Patrice a écrit :Salut,

Mais le marché des lecteurs numériques a-t-il eu le temps de percer en Russie, à ce jour? Si moi, je relis désormais mes manuscrits de romans sur lecteur (avant soumission) parce que c'est largement plus pratique, d'autres ont forcément vécu la même expérience, à leur propre aune de lecteurs. Essaie un lecteur Sony, par ex., et tu verras.


Là effectivement, tu as tout à fait raison. Ils sont aussi en retard que nous sur ce point. Mais lisent déjà abondamment sur téléphone portable, comme les Japonais.


On est bien d'accord.
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Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar JDB » 24 novembre 2009 à 21:59

Gregory Drake a écrit :Numérisation d'un ouvrage de 300 pages : sans doute 300 x 30 s d'OCR soit 150 minutes, agrémentées de quelques heures (disons 6 pour quelqu'un qui corrige vite et veut bien faire son boulot et, donc, ne veut pas passer pour un Pirate analphabète) de corrections car l'OCR est toujours loin d'être parfait et ne le sera sans doute jamais (vive le français et ses difficultés). Selon toute vraisemblance (sauf fuites entre l'ordi de l'auteur et la librairie), une version numérique pirate de qualité correcte ne pourra se trouver sur le net qu'une semaine ou deux après la sortie papier de l'ouvrage en librairie. Ce qui bousillera sans aucun doute le côté exclu si cher aux pirates de tous poils.

Pour info, c'est un travail que je fais de temps en temps -- pas pour pirater, mais pour récupérer des traductions dont je n'ai pas conservé les fichiers lorsqu'un éditeur souhaite les rééditer.
Comme j'ai fait ça récemment, je peux vous donner une idée précise du temps nécessaire avec un logiciel OCR jugé très performant.
Longueur du texte imprimé : 54 pages, soit 27 scans en mettant le livre à plat.
Durée de l'opération (scan d'une double page, numérisation sans corrections, archivage sous forme de fichier Word) : 50 minutes au total.
Cela recoupe donc l'estimation de Gregory Drake.
Pour les corrections, c'est plus difficile à estimer -- dans mon cas, je ne me contente pas de restituer le texte tel qu'il est imprimé, mais je l'améliore un peu.
Mais Gregory Drake suppose qu'on a affaire à un seul opérateur -- et s'ils sont plusieurs à se partager le boulot ? La version pirate peut être prête en une journée.
Dans le cas de la fameuse traduction pirate d'Harry Potter, il me semble qu'ils s'étaient mis à plusieurs pour traduire le livre, justement afin de le sortir vite...
Cela dit, de telles initiatives ne sont concevables que si l'ouvrage attire les lecteurs en grand nombre ou si le pirate est un fan absolu, capable de consacrer du temps et des efforts à une tâche ingrate et peu récompensée...
JDB
"Passablement rincé", qu'il dit.
T. Di R.

Re: L'ère du numérique... et les forces en présence

Messagepar T. Di R. » 24 novembre 2009 à 22:13

jdb a écrit :Pour info, c'est un travail que je fais de temps en temps -- pas pour pirater, mais pour récupérer des traductions dont je n'ai pas conservé les fichiers lorsqu'un éditeur souhaite les rééditer.
Comme j'ai fait ça récemment, je peux vous donner une idée précise du temps nécessaire avec un logiciel OCR jugé très performant.
Longueur du texte imprimé : 54 pages, soit 27 scans en mettant le livre à plat.
Durée de l'opération (scan d'une double page, numérisation sans corrections, archivage sous forme de fichier Word) : 50 minutes au total.
Cela recoupe donc l'estimation de Gregory Drake.
Pour les corrections, c'est plus difficile à estimer -- dans mon cas, je ne me contente pas de restituer le texte tel qu'il est imprimé, mais je l'améliore un peu.
Mais Gregory Drake suppose qu'on a affaire à un seul opérateur -- et s'ils sont plusieurs à se partager le boulot ? La version pirate peut être prête en une journée.
Dans le cas de la fameuse traduction pirate d'Harry Potter, il me semble qu'ils s'étaient mis à plusieurs pour traduire le livre, justement afin de le sortir vite...
Cela dit, de telles initiatives ne sont concevables que si l'ouvrage attire les lecteurs en grand nombre ou si le pirate est un fan absolu, capable de consacrer du temps et des efforts à une tâche ingrate et peu récompensée...JDB


Merci, Jeann-Daniel, pour ces informations très précieuses. Et finalement préoccupantes.

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