Aldaran a écrit :Personnellement, c'est plutôt cet avis-là, que j'attends.
Et la comparaison avec le film.
Pour la
BD :
Publié originellement à partir de 1982, le Transperceneige s’est taillé une sacrée réputation dans le cœur des aficionados de BD. Ecrit par Jacques Lob et mis en images par Jean-Marc Rochette, poursuivi plus tard pour deux autres tomes par Benjamin Legrand, l’œuvre a connu des fortunes diverses avant d’arriver par quelques heureux hasards sous les yeux de Bong Joon-Ho qui décide alors de l’adapter pour le grand écran. Profitant de cette nouvelle popularité, Castermann réédite une volumineuse et magnifique intégrale, l’occasion idéale pour redécouvrir un mythe avant d’aller jeter un œil sur son adaptation en salles.
On peut, grossièrement, diviser l’œuvre en deux morceaux. D’abord, le Transperceneige original de 1982 écrit par Jacques Lob et dessiné par Rochette, ensuite les deux tomes suivants – L’Arpenteur et La Traversée - scénarisés par Legrand et toujours dessinés par le même artiste. Dans le Transperceneige de Lob, on fait la connaissance de Proloff, un homme taciturne qui a réussi à s’introduire dans les sections avants d’un train lancé à pleine vitesse nommé le Transperceneige. Évoluant dans un monde recouvert par la glace, il constitue le dernier refuge d’une humanité à l’agonie mais qui ne cesse de reproduire les mêmes erreurs. C’est ainsi que Proloff, sous la protection d’Adeline Belleau, s’achemine vers la Sainte Loco ,et découvre, avec le lecteur, le monde de ceux de l’avant.
Allégorie évidente du monde capitaliste et moderne, Le Transperceneige n’a pas un abord facile avec ses personnages qui laissent peu d’anicroches au lecteur et son monde totalement étouffant. Pourtant, rapidement, on se laisse entraîner dans la contre-utopie enfermée au sein de ce train et qui synthétise tous les maux de l’homme. Ainsi Lob fait preuve d’un talent certain pour décrire les riches qui vivent dans l’opulence alors que les autres s’entassent à l’arrière. Cependant, jamais l’auteur ne décrit réellement ces wagons de queue, laissant au lecteur le soin d’imaginer l’horreur qui y règne. Proloff, archétype d’individualisme, ne cherche pas tant à sauver les siens qu’à survivre, pétrifier par l’absurdité de cette séparation en classes qui laissent crever la moitié voir plus de la population totale du train. Lob en profite aussi pour jeter quelques mots sur le besoin de l’homme de vénérer et de bâtir des religions, même la plus absurde – ici une Locomotive – mais aussi son besoin irrépressible de dominer l’autre. Au milieu nage bien Adeline Belleau et ses quelques suivants, à la tête d'une sorte d’ONG qui prône un meilleur traitement des wagons de queue et qui parodie, non sans cynisme, ce que l’on connaît à l’heure actuelle. Un mouvement futile tout au plus dans un monde condamné.
Le trait de Roquette pour ce premier jet semble très dur et très rude, uniquement en noir et blanc, il correspond parfaitement à la noirceur lancinante du récit. Même s’il n’a pas la maturité qu’il acquiert dans les deux tomes suivants, plus réussi niveau esthétisme, plus clair mais aussi plus élégant. En réalité, ce premier volet s’avère une très belle réussite mais garde un côté assez basique. Certes Proloff et le reste forme une condensé des horreurs de notre société moderne mais l’aventure, en plus de semblé courte, reste assez simpliste, à savoir riches vs pauvres et remontée vers un Dieu mécanique impuissant, la locomotive. On aurait aimé en savoir davantage et offrir plus de profondeur au monde décrit. Bien que le choix d’occulter totalement l’origine du désastre qui a conduit à l’apocalypse et celui de ne rien dire des wagons de queue s’avèrent payants, tout vas trop vite, et le récit manque de personnages marquants.
Avec les deux tomes suivants, qui narrent la même histoire, Benjamin Legrand choisit de ne pas faire dans la redite mais d’étendre l’univers : le meilleur choix. En introduisant la caste des Arpenteurs et en décrivant une complexe machinerie politico-religieuse corrompue jusqu’à la moelle, il permet d’aller là où n’allait pas le précédent et de bénéficier d’une plus vaste perspective. Puig Vallès représente un peu davantage le genre de héros commun auquel on est habitué, délaissant le côté individualiste appréciable de Proloff mais donnant ainsi un point d’attache plus ferme au lecteur. De même, l’histoire présente plus de péripéties et certainement plus d’intérêt. Une fois l’univers installé, Legrand n’a plus qu’à développer certes. Mais il le fait bien et dresse des portraits de politiques et de religieux crédibles, deux des mamelles du pouvoir sur les masses, représentées ici dans toute leur ignominie.
Pour autant, Legrand respecte l’univers créé par Lob et ne montre que peu la misère des wagons de queue pour accentuer l’horreur latente qui y règne. De même, il reprend des éléments de l’histoire antérieure pour accentuer le côté terrible de la fin du précédent volet. Enfin, et c’est certainement le plus important, Legrand conserve la noirceur de l’univers et y ajoute encore avec une chasse aux mirages désespérée qui termine sur un épilogue aussi cynique qu’inévitable, où la mélodie de la fin de l’homme, de son système et de son espèce détestable résonne dans les glaces. Une superbe conclusion.
L’intégrale Transperceneige regroupe ainsi 3 tomes complémentaires et superbes dépeignant un monde glauque et désespéré en forme de synthèse de l’homme moderne et de la société de classes. Un classique, sans aucun doute.
Pour le
Film :
Par un heureux hasard, l’excellentissime Bong Joon-Ho, a pu avoir accès au Transperceneige, une bande-dessinée française culte mais un peu tombée dans l’oubli depuis sa parution dans les années 80. Déjà responsable du chef d’œuvre Memories of Murder et de l’excellent The Host, le sud-coréen se tourne à nouveau vers la SF la plus dure et la plus noire. Délaissant la production asiatique, il passe sous l’égide US et attire donc des excellents acteurs comme Chris Evans, Tilda Swinton ou encore Ed Harris. La crainte légitime liée à ce Snowpiercer ? Celle de voir Bong Joon-Ho broyé par le système hollywoodien comme le fut Kim Jee-Woon avec le Dernier Rempart.
Enfermés dans un train lancé à pleine vitesse, les survivants d’un cataclysme écologique se retrouvent piégés pour le restant de l’éternité. Dans les wagons de queue, la vie est rude, très rude. Les gens s’entassent dans des wagons sans fenêtre et mangent des steaks de protéines gélatineux sous la garde des hommes de sécurité de l’avant. Dirigé par l’énigmatique Wilford, le train fonctionne comme un système clos autonome qui écrase sa main d’œuvre. Mais depuis que des messages circulent, Curtis et Edgard se préparent à mener une révolution et à pénétrer dans les wagons de l’avant. Pour cela, ils auront besoin de Namgoong Minsoo, un expert en sécurité retenu prisonnier et ancien junkie.
Snowpiercer jette immédiatement le spectateur dans le monde clos du Transperceneige. A peine un prologue passé décrivant l’apocalypse glacière que nous voici dans les wagons de queue en compagnie de Curtis et des autres. Rapidement, on se rend compte que Bong Joon-Ho ne fera aucune concession sur l’âme de l’œuvre originale, à savoir sa noirceur et son désespoir. Tout dans les derniers wagons est noir, crasseux, désespérant, dégoûtant. Les visages sont noirs, éteints, presque résignés. On reconnait difficilement Chris Evans, le Captain America transformé en leader trouble pour l’occasion et, au demeurant, génial. Mais c’est certainement la porte-parole de Wilford, Mason, qui tranche le plus avec cette atmosphère de désespoir.
Incarnée par la truculente Tilda Swinton, elle offre un personnage pour le moins étrange. En le surjouant un tantinet, Swinton peut agacer mais c’est bien le but d’autant que l’on comprendra à la fin la raison de la santé mentale de Mason. Joon-Ho reprend l’idée de la révolte et la mène à son terme. Curtis découvre rapidement l’avant et le contraste s’avère tout à fait saisissant. La réalisation du bonhomme n’a rien perdu et sa caméra assure autant dans les phases de combat – avec un long plan-séquence qui n’est pas sans rappeler le film d’un autre coréen célèbre – que dans les moments plus sombres et plus intimistes. A ce titre, Snowpiercer possède bien entendu une grosse dose d’action, n’hésitant pas à couper des membres à la hache, mais aussi une grande réflexion sur la société moderne.
Reprenant en cela les idées de la BD originelle, Bong Joon-Ho magnifie l’œuvre. En étudiant et en exposant frontalement la révolution et la lutte des classes, son récit possède quelques accents Marxistes bien plus prononcés qu’on s’y attendrait. La dissemblance flagrante entre ceux de l’avant et de l’arrière ainsi que le mépris complet des privilégiés voir même de leur folie sonnent très juste dans notre monde actuel. De même, la fin, même si exagérément explicative, renvoie une image très juste de la machination politique et de l’accointance des partis en présence pour contrôler les masses et les juguler. Bien évidemment, on pourrait reprocher au Sud-Coréen de trop s’éloigner de la trame originale. Mais rien ne serait plus faux. Le long-métrage respecte scrupuleusement l’esprit de l’univers de Lob et même dans ses infidélités, il garde un grand respect. On aurait préféré que l’origine de la catastrophe reste inconnue et que la toute fin soit plus drastique, mais l’essentiel est sauf. Comme cette superbe séquence presque tétanisante où un Chris Evan épuisé raconte le début du voyage dans les wagons de queue, rien n’est mis en images sur les mots terribles prononcés, le spectateur se charge de l’imaginer comme Lob l’avait fait avec les queutards de la BD.
D’ailleurs, c’est bel et bien le casting qui brille dans le Transperceneige. En tête, Chris Evans bien sûr mais aussi le génial Song Kang-Ho dans le rôle du charismatique et mystérieux Namgoong Minsoo, sans oublier Ed Harris et l’inévitablement excellent John Hurt. L’ensemble réuni par le réalisateur asiatique assure et s’accorde parfaitement avec les rôles dévolus. De même, on est enchanté de constater que Bong Joon-Ho a conservé le ton inimitable des films coréens avec un sens aigu du tragi-comique et de l’improbable – les enchaînements entre les wagons, l’école, l’arrêt des combats … - qui donne un rythme unique en son genre et donne toujours des éléments de surprises au spectateur.
Fidèle à lui-même, Bong Joon-Ho, comme son illustre collègue Park Chan Wook avec Stoker, réussit à passer par-delà une production américaine pour accoucher d’un long-métrage noir, torturé, diablement intelligent et cruel. Un grand cru.
J'espère que ça t'aidera.