Jensen a écrit :Maintenant, dire qu'il y a un lien entre le fait d'être "sex addict" et "pédophile", je suis désolé, mais là je ne peux pas te suivre. D'autant plus que dans le film, Joe porte un discours essentialiste "cet homme est né en ayant des désirs envers les enfants, tout comme je suis né avec un énorme appétit sexuel". Là, Cachou, toi qui te dit féministe, je t'invite à relire (ou à lire?) les gender studies : non, nous ne naissons pas avec des désirs pervers ou non pervers. Non, nous ne naissons pas hétéro ou homo. Non, nous ne naissons pas femme, mais on le devient.
La thèse du film est que certains naissent avec ce que nous considérons comme étant des perversités et que, justement, celles-ci ne sont pas d'office "acquises" par une histoire, un contexte culturel, etc. Joe est telle qu'elle est dès sa jeunesse, elle ne fait qu'explorer une sexualité qui était déjà la sienne avant. Il en va autrement du comportement criminel, qui n'a rien à voir avec son comportement sexuel, il s'avère juste qu'une femme avide sexuellement parlant est aussi devenue un membre d'un genre de mafia.
Je ne dis pas que la vision de ce film est la mienne (même si je partage de nombreuses observations). Par contre, que je sache, sur la question de l'hétérosexualité ou de l'homosexualité, la thèse qui est la plus reconnue pour l'instant est celle disant que l'homosexualité n'est pas un choix ni une construction culturelle mais bien une sorte de "nature intrinsèque" qui n'est pas pour autant inscrite dans les gênes mais qui est là, en nous. On ne devient pas hétéro ou homo (ou bi, ne pas oublier qu'un petit 80% de la population est censé être bi selon le rapport de Kinsey), on l'est. De même, il ne faut pas faire dire à Simone de Beauvoir ce qu'elle n'a pas dit. "On ne naît pas femme, on le devient", ça ne veut pas dire qu'on naît totalement assexué et sans personnalité comme un tableau vierge, ça veut dire qu'on ne naît pas forcément avec les goûts et les spécificités que la société s'amuse à accoler à notre sexe. Une femme peut "naître" (être naturellement) exubérante, violente, "rôteuse" et maternelle (par exemple), son éducation, de par sa nature de fille, l'intimera à faire disparaître les trois premières caractéristiques en exacerbant la dernière. On lui apprendra à devenir ce qu'on estime qu'une femme doit être en lui intimant d'oublier sa véritable nature (il en va de même pour les hommes, je tiens à le préciser). Or, ce qui est mis en avant de nos jours, c'est le fait que ces caractéristiques qui apparaissent tôt chez les enfants non pas parce qu'on les a éduqués ainsi mais parce qu'ils sont ainsi sont étouffées au nom d'une image à laquelle il faudrait correspondre. Et ce qui est réclamé, c'est la possibilité de pouvoir vivre comme on est sans qu'on nous impose notre manière d'être de par notre sexe (et je parle là de caractéristiques qui ne sont nuisibles à personne, je ne dis pas qu'il faut laisser un enfant violent être comme il est, parce que je sens venir l'objection). Si je veux me couper les cheveux court et jurer à tout bout de champ, la société n'a pas à me dire que, quand même, les cheveux courts, ce n'est pas flatteur sur une femme (
si si, c'est une problématique réelle avec tout un développement sur internet qui a sacrément fait parler d'elle, surtout sur Tumblr) et que de
dire des gros mots, ce n'est quand même pas joli dans la bouche d'une gentille fille. C'est cela que le féminisme (aka l'égalitarisme) met en avant, c'est cela que les études de genre étudient: la manière dont on peut réduire une personne aux caractéristiques accolées à son sexe, ce qui vient de la culture et ce qui vient de la nature et comment certains (beaucoup) ce sentent à l'étroit dans ces cases dans lesquels on les enferme.
De plus, je ne comprends pas la remarque me demandant de relire les "gender studies". Si tu m'avais dit d'aller relire mon Freud, là, j'aurais compris vu que le réalisateur ne va pas dans le sens des théories de celui-ci. Les études de genre, par contre, sont la dénomination d'une discipline, d'un vaste champ de recherches dans lequel il n'existe pas une seule théorie prédominante. Tout comme il n'y a pas une seule philosophie, une seule sociologie ou une seule psychologie. Lars von Trier nous explique ici sa théorie (ou une théorie, rien ne dit que c'est sa vision des choses, c'est juste celle que son film propose) sur la sexualité. On peut ne pas être d'accord avec. Mais le film ne fait pas
que dire cela, il est beaucoup plus riche que son propos sur le sexe, c'est avant tout de la vie d'une femme dont il est question ici, dont la sexualité est une grande partie mais est loin d'être la seule.
Pour finir, ce que dit le film, ce n'est pas qu'il y a un lien entre "nymphomanie" et pédophilie, c'est qu'il y a une compréhension de la part d'une personne à la sexualité différente envers ce que doivent vivre les pédophiles. Joe, qui vit avec une sexualité différente donc, sait l'emprise que cette sexualité peut avoir sur une personne et la manière dont elle peut être vécue. Là, elle nous parle d'un pédophile qui, lui, n'a pas eu la "chance" d'être attiré par des sujets d'amour admissibles et a dû lutter toute sa vie pour refouler ses pulsions. Le film nous explique bien que les personnes ne se réveillent pas un jour en se disant "tiens, il fait beau aujourd'hui, je deviendrais bien pédophile". Non, Joe nous explique que tout comme elle n'a pas choisi la sexualité qu'elle a par contre décidé de cultiver et pour finir d'assumer (ce n'est pas la même chose), un pédophile est une personne qui doit vivre tous les jours avec un désir qu'il doit combattre. Certains choisissent d'y succomber et là, c'est hautement condamnable et répréhensible (contrairement à la "nymphomanie"). Mais beaucoup apprennent à vivre avec des pulsions qui ne sont pas forcément explicables par la théorie du "on a abusé de lui quand il était enfant" (tout comme la nymphomanie de Joe ne s'explique pas de cette manière non plus, alors qu'on aime à donner cette même explication à ces deux choses si différentes). Le rapprochement qui est donc fait n'est pas celui de dire "une nymphomane, c'est comme un pédophile". C'est de dire "une pulsion sexuelle est quelque chose de difficile à contrôler et moi, Joe, qui donne cette explication, je sais de quoi je parle parce que j'ai accepté de céder à ces pulsions pendant la majorité de ma vie, j'admire donc ceux qui arrivent à les faire taire parce qu'ils savent qu'y céder serait commettre un horrible et impardonnable crime".
Bref, tout ça pour dire que le féminisme de ce film ne réside pas dans sa lecture des pulsions sexuelles mais dans la liberté de vivre comme elle l'entend offerte à une femme qui a ces pulsions.
PS: Comme vous l'aurez compris, on touche ici à un sujet qui me passionne. Ce n'est pas pour rien que j'ai consacré mon travail de fin d'études à la chose ^_^.