N'ayant pas trouvé de sujet sur le Judge Dredd, je me permets d'en ouvrir un, d'autant que si tout se passe bien l'implacable flic de Mega-City One est en train de faire son retour en France. C'est peut-être le moment de s'y intéresser.
Je commence avec une présentation du magazine 2000AD.
... Si aucun des auteurs à l’origine de 2000AD le magazine de bande dessinée de science-fiction dans lequel apparaîtra le Judge Dredd n’étaient dans la mouvance punk de l’époque se souviendra Pat Mills, l’homme qui sera en charge d’inventer ce nouveau magazine, l’ambiance délétère du mitan des années 1970 allait tout de même nourrir les histoires qui y seraient racontées : Invasion de la Grande-Bretagne par les Volgans, spectacles sportifs encore plus dangereux et violents que le Rollerball, voire série où les « héros » sont des dinosaures carnivores, sans oublier M.A.C.H 1 un agent secret (noblesse oblige) à la Steve Austin, et tout ça dès le premier numéro.
Outre ces inédits, un « nouveau Dan Dare » (le pilote du futur) personnage créé à l'origine en 1950, et dont la notoriété n’était plus à faire à l’époque sera chargé de faire vibrer la fibre nostalgique des lecteurs potentiels.
L’idée de proposer une revue de bande dessinée de science-fiction est venue à Kelvin Gosnell qui travaillait alors pour l’éditeur britannique IPC en lisant un article dans lequel, en substance il était dit qu’il fallait s’attendre à ce que la science-fiction devienne à la mode dans le milieu du cinéma dans les prochaines années.
À cette époque vers 1975, la bande dessinée destinée aux garçons en Angleterre, se déclinait en deux thèmes majeurs : le sport et la guerre.
Gosnel, à l’instigation de Pat Mills qui était alors pigiste pour IPC, rédigea un mémo à destination de John Sanders le responsable du secteur « bandes dessinées pour garçons » de cet éditeur. Ce mémo retint son attention, et il donna le feu vert à Mills pour plancher sur un nouveau périodique, qui deviendra 2000AD.
Pat Mills, et John Wagner que nous retrouverons un peu plus tard, avaient déjà été à l’origine d’une belle réussite pour IPC à savoir, le magazine Battle Weekly, la « réponse » d’IPC au concurrent DC Thomson ( à ne pas confondre avec DC Comics l’éditeur étasunien de Superman & Wonder Woman) qui avait beaucoup de succès avec Warlord ; une revue de BD exclusivement tournée vers la Seconde guerre mondiale dont la particularité, était de proposer des aventures d’un réalisme saisissant.
Fort de la réussite de Battle donc, Wagner part prendre en charge le magazine d’aventure de BD Valiant en tant qu’editor, c’est-à-dire un poste entre celui de rédacteur-en-chef et directeur de collection, l’editor à ne pas confondre avec l’éditeur (publisher) s’assure entre autres du travail de relecture, donne des idées de scénario, coordonne les différents titres du magazine, etc.
Si Wagner part donc s’occuper de la destinée de l’hebdomadaire Valiant, Pat Mills de son côté va être à l’origine d’un nouveau magazine encore jamais vu avant, et dont la courte vie marquera durablement ses lecteurs.
À telle enseigne que dans la page courrier du mensuel Preacher, Garth Ennis le co-créateur & scénariste de la série passera une annonce pour en racheter la collection complète, lui qui l'avait lu gamin.
Or donc, jugé trop violent Action, c’est son titre, sera interrompu après seulement 36 numéros (14 février 1976 - 23 octobre 1976) ; mais ceci est une autre histoire.
HOOK JAW l'une des stars du magazine ACTION
Revenons à 2000AD.
C’est en février 1977 qu’est lancé à grand renfort de spots télévisés et sous les auspices d’un article en première page du quotidien The Gardian ce qui deviendra le fleuron de la bande dessinée anglaise.
L’accueil est euphorique, il faut dire que Mills qui connaît son travail et surtout les limites techniques de la bande dessinée de l’époque : mauvais papier et tout aussi mauvaise reproduction des couleurs, n’hésite pas à accentuer l’aspect dynamique des histoires dont il a la charge afin d’en renforcer l’impact sur les lecteurs potentiels.
Mais comme nous l’avons vu avec Action, ce n’est pas toujours du goût de tout le monde.
Outre des sacs de courriers nombreux, le talentueux scénariste fera un passage à la télévision dans l’émission scientifique Tomorrow’s World.
Si la star emblématique du magazine est aujourd’hui, sans conteste le Judge Dredd, du moins en est-il le personnage le plus connu, il faut se rappeler qu’il était absent du premier numéro alors que sa conception avait été envisagée assez tôt.
Autre source d'étonnement, ce n’est pas son créateur artistique qui sera le dessinateur de sa première aventure, ni des suivantes d’ailleurs.
Carlos Ezquerra ne dessinera le personnage que 5 ans après sa première apparition, enfin pas tout à fait ; mais je vais y venir.
2000AD n° 2
En effet la création du plus connu des « Juges » n’a pas été de tout repos.
C’est John Wagner revenu travailler avec Pat Mills qui proposera l’idée d’un patrouilleur de la police implacable et violent.
Il avait déjà utilisée l’idée d’un flic aux méthodes aussi expéditives que violentes en créant One-Eyed Jack, un policier dans la lignée de L’Inspecteur Harry (Don Siegel/1971).
Contexte oblige, il fut décidé d’exploiter cette idée dans un New York futuriste, d’où le 2000AD qui signifie 2000 ans après Jésus Christ.
Pat Mills de son côté, avait commencé à développer un personnage inspiré par le travail de l’écrivain Dennis Wheatly dont certains romans furent adaptés par la Hammer Film, la société de production spécialisée dans l’aventure, le fantastique et l’horreur bien connue.
Son personnage, nommé Judge Dread (dread peut se traduire par "peur" ou encore "redoutable"), aurait été un genre de détective de l’occulte avec l’allure d’un vampire, et ses aventures auraient tourné autour de la magie noire et l’occulte.
Si cette série dont quelques pages ont été cependant dessinées par Horacio Lalia, ne verra pas le jour, John Wagner reprendra le nom en le modifiant en Dredd.
Comme dit précédemment, c’est au dessinateur Carlos Ezquerra qu’échut de donner une identité visuelle au personnage, non sans que Wagner ne prit l’initiative d’orienter son travail en lui envoyant une image publicitaire du film Death Race 2000 alias sous nos latitudes hexagonales : La Course à la mort de l'an 2000. Le ton est donné !
Cela étant le résultat ne plut pas au scénariste.
Et pourtant, presque 40 ans plus tard les propositions du dessinateur espagnol sont encore d’actualité, néanmoins avant que la situation ne s’envenime entre les deux hommes IPC arrêta les frais en refusant de donner à Mills & Wagner le contrôle éditorial total qu’ils pensaient obtenir, ainsi qu’un pourcentage sur les ventes au lieu du forfait de 10 livres par page de scénario habituelles.
Travailler pour les éditeurs britanniques signifiait renoncer à être propriétaire de son travail, et donc être rémunéré au forfait sans voir son nom mentionné dans les pages des magazines.
Si Wagner claque la porte en emportant ses idées, Mills suite un rajustement salarial si je puis dire, poursuit l’aventure.
Ce dernier dira plus tard qu’il obtint d’être finalement payé plus que ce que s’octroyait lui-même son éditeur.
Après moult séances de travail, le soir du réveillon de Noël 1976 l’épreuve du premier numéro part à l’imprimerie et comme vous le savez, le Judge Dredd n’est pas au sommaire.
Il le sera dans le numéro suivant, dessiné …… par le jeune Mike McMahon à qui on a demandé de copier le style de Carlos Ezquerra. Un comble !
En effet, le magazine Action dont j’ai brièvement fait mention a laissé un goût amère chez l’éditeur IPC, jugé trop violent il a été rapidement annulé ; et là pour le coup les dessins de l’artiste espagnol apparaissent eux aussi trop énergiques, trop « puissants » pour ne pas dire trop violents. Alors que comme je l’ai dit paradoxalement, Pat Mills table sur cette énergie pour capter l’attention du lectorat en devenir.
Il dira d’ailleurs que le travail rendu par le dessinateur espagnol était à son goût.
Là où le bât va blesser encore plus, c’est qu’au lieu de demander à Carlos Ezquerra de refaire les planches, on ne lui dit rien, mais en plus, on demande à un autre dessinateur de le faire à sa place.
Sans parler que toutes ses idées sont là : la moto, l’arme de Dredd, Mega-City.
Ezquerra ne dessinera « son » personnage que 5 ans plus tard.
Toutefois, deux histoires qu’il avait dessinées avant que le deuxième numéro de 2000AD ne paraisse, source de ces nouvelles dissensions, seront publiées dans Judge Dredd Prog 5 et Judge Dredd Prog 10.
Une de ses illustrations (voir infra) fera toutefois la quatrième de couverture du numéro 3 ("Prog 3" en langage 2000Adien).
Mais ce n’est pas tout, si John Wagner est également revenu sur sa décision et a réintégré l’équipe, ce n’est pas son scénario qui est publié mais celui écrit par Peter Harris, et réécrit par Mills & Kelvin Gosnell.
Comme on le voit 2000AD et le Judge Dredd ont connu quelques avanies, mais finalement le résultat en valait la peine.
Je citais le cas du scénariste Garth Ennis dont l’attachement au magazine Action lui faisait racheter cette collection à la fin des années 1990. Mais Ennis ainsi que la majeure partie des auteurs et artistes britanniques travaillent ou ont travaillé un jour ou l’autre pour 2000AD.
Encore aujourd’hui disais-je, les séries qui paraissent dans ses pages sont l’œuvre de pointures du milieu
Créer quelques années après Métal Hurlant, dont Mills déclarera s’être inspiré d’une manière générale, il est, contrairement à la revue française, encore disponible chaque semaine, et son personnage le plus connu a fait l’objet de deux films (le second plutôt réussi)
Si en France il n’a pas pendant longtemps réussi à s’implanter : un passage par les "Petits Formats" de l’éditeur Mon Journal, chez les Humanoïdes Associés (Pour en savoir +), chez Comics USA, ou encore aux éditions de Tournon (à l’occasion de la sortie du premier film avec Stallone) , sans oublier l’éditeur Soleil voire Arédit/Artima ; après donc toutes ces péripéties éditoriales, le dynamique éditeur Delirium a repris la main sa destinée hexagonale en proposant un recueil, qui selon moi est un excellent point d’entrée (un jumping point comme on dit du côté de Mega-City One) intitulé comme il se doit Judge Dredd Origines (j’en parlerai prochainement), et en a annoncé un autre pour la rentrée (Les Liens du sang), ainsi que la reprise des Complete Case-Files (un temps proposés par Soleil).
Du reste, un autre éditeur français Editions Reflexions, se propose de s’intéresser et de proposer du matériel venant de l’éditeur étasunien IDW qui publie outre-Atlantique des aventures originales du Judge Dredd.
L’avenir s’annonce-t-il radieux pour l’implacable flic de Mega-City One ?
Il est encore un peu tôt pour le dire, néanmoins avant de vous quitter, j'aimerais vous inviter à tenter votre chance en étant LE Judge Dredd (Pour en savoir +) au travers d'une aventure en bande dessinée dont vous êtes le héros.
Eh oui, être la Loi c'est possible. [-_ô]