Histoire du manga, Karyn Nishimura-Poupée

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Algernon
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Histoire du manga, Karyn Nishimura-Poupée

Messagepar Algernon » 11 juin 2016 à 15:43


Apparu à la fin du XIXe siècle, le manga est aujourd’hui un genre majeur, protéiforme et en perpétuel renouvellement. Puits de scénarios pour la télévision et le cinéma, vivier de mascottes lucratives, il est l’un des plus efficaces ambassadeurs de la culture japonaise en France.
Cet univers narratif reflète autant la société singulière et énigmatique qui l’a créé que l’évolution du pays dans lequel il s’est développé : moyen de consolation durant la récession d’avant-guerre, héraut de la contestation dans les années 1960 et médiateur du féminisme dix ans plus tard. D’Astro Boy à Akira, de la Bombe A à Fukushima, le manga transforme les robots en gentils humains ou les hommes en terribles engins destructeurs, rêve le meilleur d’une nation ambitieuse, solidaire et pacifiste, ou anticipe le pire d’une société décadente, liberticide et belliqueuse.
À travers cet essai subtil où se conjuguent l’histoire, l’art et la sociologie du Japon, Karyn Nishimura-Poupée montre que le manga est intrinsèquement lié à l’évolution du Japon qui le recrée sans cesse. Sa portée est universelle.


Longtemps épuisé, L'Histoire du manga de Karyn Nishimura-Poupée est enfin rééditée et parue le 2 juin aux éditions Tallandier.

- La fiche sur le site de l'éditeur.

(l'ouvrage n'est évidemment pas un manga à proprement parler mais au vu de son sujet il me semble plus logique que le fil soit dans cette section du forum)
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Artemus Dada
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Re: Histoire du manga, Karyn Nishimura-Poupée

Messagepar Artemus Dada » 11 juin 2016 à 15:48

j'avais posté quelques éléments de la précédente édition sur un autre forum, je l'ai mets ici si tu le permets :
Présentation de l'éditeur
Inconnu il y a cinquante ans en Occident, le mot manga est depuis passé dans toutes les langues du monde. Le boom planétaire de cette forme narrative imagée, dont s’enorgueillit le Japon, s’inscrit dans un mouvement plus large de fascination / méfiance à l’égard de ce pays et de ses habitants. Par intérêt artistique ou par opportunisme mercantile, les Occidentaux s’inspirent aujourd’hui de la « pop culture » japonaise tirée par ses mangas pour renouveler l’univers de la BD franco-belge ou celui des comics américains.
Peu importe que les origines de la composition graphique du manga se trouvent moins dans la tradition picturale ancestrale nippone que dans la caricature, les images de presse, et la bande-dessinée importées d’Occident, le manga actuel est bel et bien une création nippone. C’est que cette forme d’expression a pris au fil des décennies, sous la plume des dessinateurs japonais, amateurs ou professionnels, une tournure nouvelle, à nulle autre pareille. Les traits caractéristiques du manga contemporain sont nés au japon et ce genre protéiforme s’est démarqué du reste de la production graphique mondiale du simple fait qu’il n’est autre que le reflet de la société nippone, énigmatique, unique, et son histoire un miroir de celle, tourmentée, du pays dans lequel il a mûri. L’inverse n’est pas moins vrai : de par son importance dans la foisonnante production littéraire japonaise, le manga s’est révélé être l’un des éléments les plus influents des modes de vie et de pensée des Japonais. Bien qu’une infime partie des mangas nippons trouve un débouché à l’étranger, cet art populaire déflore les multiples facettes d’une population et d’un mode d’organisation sociale singuliers.
Dès lors, explorer l’histoire des mangas, c’est aussi retracer celle de la société nippone depuis que cette forme de récit y a vu le jour, au début du XXe siècle jusqu’à nos jours.

Biographie de l'auteur
Journaliste, correspondante permanente au Japon pour l’Agence France-Presse (AFP), Le Point et le groupe de réflexion sociologique Chronos, Karyn POUPÉE vit sur l’archipel depuis 2002, après avoir effectué la navette entre Paris et Tokyo pendant cinq ans.


INTRODUCTION

« Le Japon ? Les manga(1) ? La première fois ? C’était au début des années 1980, je crois. Et, pour tout dire, je ne savais pas ce qu’étaient lesdits manga. J’ignorais même, et je n’étais pas le seul, qu’il existait au pays du Soleil-Levant une forme de bande dessinée. » On entend déjà l’interjection sardonique à haute voix de jeunes lecteurs. « Comment, le manga, connaissait pas ? ». Pourtant, celui qui nous livrait cette confidence le 5 mai 2009, attablé dans un café de Kyoto, n’était en 1982 ni inculte, ni un néophyte de l’univers de la narration figurative : il s’agit de Jean Giraud, alias Moebius, vingt ans de métier à l’époque. Respect. Eh oui, il y a ne serait-ce qu’un quart de siècle, le manga ne bénéficiait pas en France, pas plus qu’en Europe, de la reconnaissance et encore moins de l’engouement dont il est l’objet en ces années 2000, ni de la part des professionnels de l’édition, ni a fortiori du grand public. La seule trace que ce dernier en percevait à l’époque l’était à travers les « dessins animés japonais », une expression alors un rien péjorative, qui brocardait des séries comme Goldorak. Beaucoup méconnaissaient le fait qu’il s’agissait en l’occurrence d’une adaptation de manga, et des plus cotés en son pays, s’il vous plaît, troisième volet de la série Majinga (Mazinger), de Go Nagai. Manga : ce mot ne figurait pas encore dans les dictionnaires francophones. Surprenant certes, mais véridique. « Les Français s’étaient retrouvés devant leur télé comme une poule devant un couteau, ne sachant comment appréhender ces programmes déroutants. Il y avait une incompréhension des adultes, parents et enseignants, face à un enthousiasme déconcertant des enfants », témoigne Moebius.
Ayant alors côtoyé celui qu’il appelle « Monsieur Tezuka » vingt-sept ans plus tôt, cet auteur de bandes dessinées se souvient, mi-penaud, mi-amusé, que ce petit homme rigolo, « béret vissé sur la tête et grosses lunettes », était un quidam dans les allées du festival de la BD d’Angoulême, où les deux s’étaient, par hasard, rencontrés. Visite incognito inimaginable pour la génération des 10-30 ans d’aujourd’hui, qui se passionne désormais pour cet art nippon, dont ledit « Monsieur Tezuka », Osamu de son prénom, est considéré comme le feu père.
1982 : entre l’Occident et le Japon, le climat économique était pluvieux et, dans la production nippone, le manga de Tezuka un des plus vieux. Depuis quelque trois décennies et demie déjà, il ravissait les Japonais, « Monsieur Tezuka ». Et Moebius de poursuivre, au risque d’indigner plus encore : « M. Tezuka m’avait invité au Japon, et là, j’ai découvert un monde inconnu, comme Christophe Colomb l’Amérique. Je n’étais cependant pas très emballé par ses dessins, car nous avions déjà en France une BD que je pensais plus élaborée, ancrée dans une démarche plus artistique. Je considérais son style très enfantin. » Alors quoi, les œuvres du « dieu des mangaka », Tezuka, n’avaient donc rien d’excitant, de stupéfiant pour cet artiste ? Si, pourtant : la quantité. « J’ai été impressionné par sa production inexhaustible. » On le serait à moins. « Et puis, il m’a projeté ses dessins animés, avec un appareil 16 millimètres, c’était troublant », avoue Moebius. Et l’homme n’avait encore rien vu. Son regard sur le manga changea lorsqu’il franchit les portes d’une librairie nippone spécialisée : « Ce fut un choc extraordinaire. » À ce moment, Moebius a compris, avant nombre d’autres, que l’Occident ne pourrait et ne devait plus longtemps encore rester indifférent à cet irrationnel phénomène japonais. N’importe quel Français, féru ou non de manga, habitué ou non des travées des librairies hexagonales de BD, qui, aujourd’hui encore, pénètre pour la première ou la énième fois dans une boutique de manga de Tokyo, reçoit le même coup que Moebius. In-com-men-su-rable production. Les rayonnages n’ont pas rétréci depuis, c’est même tout le contraire : la surface consacrée aux manga est proprement sidérante, étourdissante, frustrante pour le passionné qui jamais ne pourra tout lire, rattraper un retard de plusieurs décennies, suivre le rythme des sorties. Alors il faut choisir. « J’ai été secoué par quelque chose que j’ai du mal à assimiler et à nommer, qui est la finesse de ciblage du public, entretenu, nourri, respecté comme ayant une biodiversité. » Au Japon, on furète attentivement pour débusquer les niches d’attentes potentielles dans le public, celles qui n’ont pas encore été extraites de la masse. Puis on les analyse et les sert spécialement. Le lectorat est composé de groupes catégoriels de plus en plus nombreux et cernés. Cette appartenance est revendiquée par les intéressés, perçue, comprise, visée, satisfaite. « Cela ne peut exister que dans la mesure où le public a conscience de ce qu’il est, de son rôle précurseur », suppute Moebius. « Intéressant en outre est le fait que ces ensembles ne se forment pas autour de transgressions sociales à la limite de la délinquance comme en Europe où, pour se distinguer, soit on se réfugie dans une tradition disparue, soit on se marginalise d’une façon revendicative et presque haineuse, ce qui finit par être désagréable », compare l’artiste. « Au terme de ce séjour inaugural, je suis revenu en Europe tout ébloui, avec une collection de magazines que j’ai montrés à tous mes copains », se vante-t-il. « J’ai dû, bon gré mal gré, reconnaître ensuite que, d’une façon innocente, les chaînes de télévision françaises avaient été innovantes. Puis j’ai beaucoup disséqué ces manga, le travail en finesse des dessinateurs japonais, la précision inédite des choses, un regard fasciné sur le quotidien, un souci du détail portant sur les objets les plus banals. En Europe, tout en n’étant point puérile ni simpliste, la représentation des éléments était très stylisée, le minimum nécessaire à la compréhension. Un verre n’était qu’une ellipse vaguement dans le plan avec un reflet, les vitres une surface avec un trait à l’oblique. Brutalement, j’ai découvert avec le manga des dessinateurs qui, eux, ne se contentaient pas de cela, se lançaient dans des tentatives extrêmes de reproduire la réalité dans sa crudité absolue, dans sa rigueur, dans son étendue. La cassure d’une paille dans un verre d’eau est observée attentivement et profilée ainsi. Cela traduit une capacité d’émerveillement qui induit un perfectionnisme inouï. Il ne s’agit toutefois pas d’une méticulosité maniérée ni stérile mais d’un mode de perception, d’expression et de transmission du réel qui nous est étranger. Je me suis heurté à un écueil, me rendant compte que ma culture graphique, artistique n’avait pas été suffisamment nourrie dans cette perspective-là et j’ai dû renoncer à égaler ces maîtres, même si à force d’essayer il m’en est resté quelques séquelles utiles », sourit-il.
Le retour de Moebius au Japon en 2009 n’était pas un hasard. Lui et d’autres se pressent désormais ici pour tenter de décrypter pourquoi le manga se différencie de toute autre forme de reproduction et narration, pour découvrir des pépites à importer en Occident, voire, mais c’est plus rare, pour réclamer la réciproque, une place pour la BD au Japon. Existent, selon lui, désormais des zones d’interpénétration entre la bande dessinée et le manga, via les traductions mais pas seulement. « Il y a des choses qui bougent. Ce voyage est un des signes qui montrent ce mouvement », espère Moebius. « La BD est encore perçue en Europe comme un genre pour enfants ou anticonformistes », déplore-t-il, alors qu’au Japon, le manga est, depuis des lustres, transgénérationnel.
Par curiosité artistique ou par opportunisme mercantile, les Occidentaux s’inspirent aujourd’hui de la « pop culture » japonaise, justement tirée par ses manga, pour enrichir l’univers de la BD franco-belge ou celui des comics américains. Le vocable « manga » est ainsi désormais passé tel quel dans toutes les langues du monde, porté par la déferlante des œuvres dessinées et productions animées traduites à l’étranger. Paradoxalement, son emploi diminue au Japon, au profit du terme komikku (comic). Entre 1985 et 2010, le manga s’est imposé au-delà des frontières de l’archipel comme un art reconnu et incontournable. Trop ? « Dans un premier temps j’ai fait énormément de promotion du manga, je voulais absolument que cette forme d’expression soit découverte, consommée, assimilée, perçue, et puis, avec le temps, je me suis aperçu qu’il existait un déséquilibre, presque dangereux pour la production BD française », regrette Moebius. C’est que tout dans l’offre de manga ne se vaut pas, tant s’en faut.
L’entichement pour ces derniers, comme pour l’animation, la cuisine japonaise, les traditions nippones, les produits de haute technologie made in Japan, le stylisme, la littérature, le cinéma du pays du Soleil-Levant, s’accompagne d’une crainte face à un risque invasif, dont on ne sait, dans le cas du manga, s’il va se stabiliser à un niveau bénin ou s’enkyster jusqu’à en devenir funeste. Ce boom planétaire, dont s’enorgueillit le Japon, s’inscrit ainsi dans un mouvement plus large de fascination/méfiance à l’égard de ce pays et de ses habitants. Outre les œuvres majestueuses que l’on y déniche, le manga est en effet aussi une redoutable machine de guerre dans sa production commerciale basique, qui est hypnotique, addictive, un peu suspecte. « C’est le côté déplaisant » pour les dessinateurs français, concède Moebius, s’alarmant du fait que les jeunes lecteurs, les plus vulnérables, soient les premiers visés et touchés.
Mais comment en est-on arrivé là, à cette dichotomie entre, d’une part, une attraction irrépressible devant une maïeutique figurative aussi bouleversante et, d’autre part, une hantise instinctive face à une propagation métastatique incontrôlable ? Comment ne pas verser dans l’angélisme déraisonnable ou la peur démente ?
Pour comprendre, apprécier, saluer ce qui le mérite, lever les phobies, mettre en garde quand cela est légitime, il faut revenir en arrière. Regarder par quelles manipulations, dans quelles mains, pour quelles raisons, dans quelles circonstances, les caricatures et dessins de presse à la mode occidentale, entrés par la force au Japon à la fin du XIXe siècle, se sont transformés dans ce pays en manga, un genre totalement inédit dans son rendu comme dans son mode de production, protéiforme mais cohérent et qui, aujourd’hui, ironie de l’histoire, envahit l’Occident. Le manga est un univers unique, troublant et envoûtant, parce qu’il reflète une société elle-même singulière, insaisissable au premier abord et obsédante lorsqu’on s’y intéresse. L’inverse n’est pas moins vrai : de par son abondance et sa diversité, de l’exécrable au prodigieux, le manga s’est révélé être l’un des éléments les plus influents des modes de vie et de pensée des Japonais. Quant à l’histoire du manga, elle réfléchit celle, tourmentée, du pays dans lequel il s’est développé, de la culture picturale multiséculaire dont il se nourrit, expliquant par là même qu’il n’aurait pu mûrir et prospérer de la même façon ailleurs(2).
Notes

(1) Je n’ai volontairement pas ajouté de s pour le pluriel de manga : les manga (option discutable mais préférable par respect pour la langue japonaise !).
(2) Les propos de Moebius ont été recueillis lors d'un entretien exclusif inédit.


Plus deux interviews : ici et .
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Algernon
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Re: Histoire du manga, Karyn Nishimura-Poupée

Messagepar Algernon » 11 juin 2016 à 15:57

Artemus Dada a écrit :si tu le permets

Je te le permets d'autant plus facilement que, petit a, je n'ai strictement aucun droit de te l'interdire, et, petit b, je suis ravi de voir une nouvelle personne participer activement à cette section du forum.

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