« Il n'y a jamais de motifs aux enfers qu'on se forge. Seulement des prétextes. »
1945.
La porte d'une triste masure se referme sur une fratrie marquée par le malheur et la honte. Bernadette et Suzie ont été tondues pour avoir couché avec l'occupant. Tondues et violées sur la place du village... Putains ! Putains ! Guillaume, le plus jeune, muré dans sa terreur, parle si peu qu'aux yeux de tous il n'est qu'un attardé doublé d'un déserteur. Quant à l'aîné, Clément, il a beau se poser en héros, on devine sous la patine du mensonge une vérité aux couleurs plus troubles...
Et c'est lui, Clément, violent et paranoïaque, qui prend la décision de cloîtrer son petit monde derrière les volets de cette cabane insalubre. Car il faut se protéger des autres, de l'extérieur, de ceux qui ne crient qu'un seul mot en cette période exultante de l'après-guerre : vengeance ! Ainsi débutent quarante années d'un enfermement total, quarante années pour libérer le monstre qui sommeille en chacun, quarante années d'enfer clos...
Depuis la sortie de son premier roman, L'Abbé X en 1984, Claude Ecken a publié une vingtaine d'ouvrages, romans, livres illustrés ou même bandes dessinées. Nouvelliste rare, couronné par le prix Rosny Aîné en 2001, il a publié la plupart de ses textes récents dans la revue Bifrost ou les anthologies du Fleuve Noir et des éditions du Bélial' — chez qui on retrouvera bientôt son premier recueil.
Claude Ecken a quarante-neuf ans et vit à Béziers. Enfer clos, livre coup de poing s'il en est, roman d'une maîtrise psychologique époustouflante inspiré d'un fait divers inconcevable, démonte avec lucidité les mécanismes du vernis social sous lequel gronde la bestialité. Terrifiant.
La fiche du livre sur le site du Bélial'
La version numérique
Enfer clos, de Claude Ecken
- Olivier Girard
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- Enregistré le : 15 avril 2009 à 15:38
Re: Enfer clos - Ecken
marypop a écrit :En renouvelant mon abonnement à Bifrost, j'ai choisi de recevoir ce livre en cadeau, sans savoir ce qu'il contenait, parce que j'avais vraiment adoré Le Monde tous droits réservés.
Ironie du sort, j'ai refermé ce livre hier soir, en même temps que passait un reportage sur France2 sur les femmes qui violent et sont incestueuses, reportage qui en suivait un autre sur la téléréalité et nos pulsions de vie, de mort, et le voyeurisme.
La quatrième de couverture précise qu'il s'agit d'un livre coup de poing, il n'y a pas tromperie.
Et c'est en ressentant un malaise certain que l'on s'arrache de cette lecture.
Dès le début on sait, on ressent, que la suite ne sera qu'horreur. Alors pourquoi, par quel mécanisme, reste-t-on ainsi accroché à la vie de cette fratrie qui va subir une descente toujours plus profonde en enfer ?
Le pire est à venir, et pourtant on continue de lire en anticipant ce qui va suivre.
La qualité de la prose est évidemment pour beaucoup dans cette plongée, mais ne suffit pas à l'expliquer, nos instincts aussi mais surtout ce sentiment rassurant, qui nous fait croire que bien sur, nous sommes au dessus de cela, nous ...
Un livre à ne pas mettre entre toutes les mains. Comme dirait sTeF en parlant de certaines musiques, "éloignez les enfants, les dépressifs et les lames de rasoir".
Oui. C'est un livre étonnant.
Pour lequel il arrive qu’on reçoive encore des courriers ici de temps en temps. Il est arrivé qu’il s’agisse de courriers d’insultes, d’ailleurs. C’est un livre qui remue profondément. Une manière d’expérience, en somme. Quelqu’un m’a un jour demandé quel monstre pouvait écrire un livre pareil… Quant on connaît Claude Ecken, qui est l’homme le plus gentil qu’on puisse imaginer, c’est assez amusant.
Re: Enfer clos - Ecken
Je ne l'ai pas du tout ressenti comme cela, mais à quel point est-on influencé par ce que l'on connait de l'homme.
Il me semble "évident" que l'auteur prend partie pour Bernadette et Guillaume, et assume sa lâcheté mais pas son côté tortionnaire.
J'ai feuilleté un peu les critiques qui reprochent à demi mot me manque de message du texte.
Pour moi il y a un message, la dénonciation de la guerre et de ses effets.
C'est présenté de manière choquante, surprenante (mais il semble que cela soit inspiré d'un fait réel si j'ai bien compris) mais c'est assez fort pour moi de ressentir que le lâche qui ne fait rien peut être aussi coupable que le tortionnaire cruel.
C'est probablement cela qui met mal à l'aise puisque c'est au lâche que l'on s'identifie sans le vouloir (enfin moi, mais s'il y a des gens qui s'identifient au frère ainé je n'ai pas trop envie de les rencontrer en vrai ...)
Il me semble "évident" que l'auteur prend partie pour Bernadette et Guillaume, et assume sa lâcheté mais pas son côté tortionnaire.
J'ai feuilleté un peu les critiques qui reprochent à demi mot me manque de message du texte.
Pour moi il y a un message, la dénonciation de la guerre et de ses effets.
C'est présenté de manière choquante, surprenante (mais il semble que cela soit inspiré d'un fait réel si j'ai bien compris) mais c'est assez fort pour moi de ressentir que le lâche qui ne fait rien peut être aussi coupable que le tortionnaire cruel.
C'est probablement cela qui met mal à l'aise puisque c'est au lâche que l'on s'identifie sans le vouloir (enfin moi, mais s'il y a des gens qui s'identifient au frère ainé je n'ai pas trop envie de les rencontrer en vrai ...)
Tremblay les chaussettes ville super chouette
Re: Enfer clos, de Claude Ecken
Oui, c'est un livre vraiment fort, qui remue énormément le lecteur. Je crois que ce qui crée un tel malaise, c'est que les personnages, tout en se comportant comme des monstres, sont profondément humains. Du coup, on se sent un peu visé. Du grand art.
Jean-François.
Re: Enfer clos, de Claude Ecken
JFS a écrit :Oui, c'est un livre vraiment fort, qui remue énormément le lecteur. Je crois que ce qui crée un tel malaise, c'est que les personnages, tout en se comportant comme des monstres, sont profondément humains. Du coup, on se sent un peu visé. Du grand art.
Jeff je pique un bout de ta phrase avec ta permission, tu ne t'en servais pas de toutes façons hein ?
Tremblay les chaussettes ville super chouette
Re: Enfer clos, de Claude Ecken
Terminé hier soir.
Livre coup de poing, très viscérale et troublante. A la lecture des remarques précédentes, je pensais le lire en parallèle d'autre chose. Et en fait j'ai pas pu m'empêcher de le lire en 4 jours. C'est presque avec un plaisir malsain qu'on y retourne. Pour voir jusqu'où ça va aller.
Je suis presque déçu par la fin pourtant elle est criante de vérité. Bien que monstrueux, c'est un fait d'hiver qui sera vite oublier.
Livre coup de poing, très viscérale et troublante. A la lecture des remarques précédentes, je pensais le lire en parallèle d'autre chose. Et en fait j'ai pas pu m'empêcher de le lire en 4 jours. C'est presque avec un plaisir malsain qu'on y retourne. Pour voir jusqu'où ça va aller.
Je suis presque déçu par la fin pourtant elle est criante de vérité. Bien que monstrueux, c'est un fait d'hiver qui sera vite oublier.
"Sauvez un arbre, mangez un castor"
Re: Enfer clos, de Claude Ecken
Farfadet a écrit :Bien que monstrueux, c'est un fait d'hiver qui sera vite oublier.
Je ne me rappelais pas que cela se passait en cette saison.
;-)
Lecture précédente : L'été de l'infini.
Lecture actuelle : Bifrost King.
Lecture actuelle : Bifrost King.
Re: Enfer clos, de Claude Ecken
Wun Ngo Wen a écrit :Farfadet a écrit :Bien que monstrueux, c'est un fait d'hiver qui sera vite oublier.
Je ne me rappelais pas que cela se passait en cette saison.
;-)
Elle fait mal celle-là. J'aurai peut être dû taper moins vite avant de partir en week end.
Mea culpa. Lire "fait divers".
"Sauvez un arbre, mangez un castor"
Re: Enfer clos, de Claude Ecken
Oui elle est belle, je te confirme (elle ressortira lors d'un repas à mon avis ^__^).
Re: Enfer clos, de Claude Ecken
Hallucinant.
Et malgré la surenchère, le tout reste atrocement crédible.
Quand la fratrie, marquée du sceau de l'infamie et unie par la honte, décide de se soustraire à la vindicte populaire en se "retirant du monde", elle se condamne, par cette réclusion volontaire, à une déshumanisation rythmée par la manipulation, la violence, l'humiliation et la barbarie, qui les mène tout droit à une déchéance physique et mentale totale.
Ce qui est fascinant, c'est la manière dont les rapports hiérarchiques s'établissent, la façon dont ils font payer à l'autre leur propre culpabilité et la facilité avec laquelle ils arrivent à nier la personnalité de l'autre pour le rabaisser au rang de simple objet manipulable à loisir, pour au final, se nier eux-mêmes.
La force de ce bouquin tient pour moi dans le questionnement qu'il suscite chez le lecteur.
Questionnement sur l'humain, la folie, la normalisation sociale, etc...
On voit combien est fragile l'auto-domestication de l'homme par l'homme. Combien elle s'efface quand la société (l'autre, son regard, la menace de son châtiment) n'est plus là pour réfréner les pulsions, quand il n'y a plus de tabous, plus de limites.
Bien malin celui qui pourrait dire quel rôle, du tyran tortionnaire, de la sadique manipulatrice, de la souffre-douleur soumise ou du parano lâche et effacé, il endosserait dans pareille situation.
Contrairement à toi, Farfadet, je ne suis pas déçu par la fin parce que d'une part ça ne pouvait pas finir autrement et d'autre part j'ai particulièrement goûté l'ironie amère de la conclusion :
[gaffe SPOILER] quoi d'autre qu'une facture impayée aurait pu davantage attirer l'attention de la société sur ce drame effroyable (drame que la société indifférente et les gens alentours ont si bien su ne pas voir) ?
P.S : je n'ai pas vérifié mais je crois que c'est dans Flight de Sherman Alexie qu'il y a une scène (très) similaire à une scène d'Enfer clos (celle du gamin enterré vivant avec un tuyau dans la bouche pour respirer et le père qui, bon , bref...).
Et malgré la surenchère, le tout reste atrocement crédible.
Quand la fratrie, marquée du sceau de l'infamie et unie par la honte, décide de se soustraire à la vindicte populaire en se "retirant du monde", elle se condamne, par cette réclusion volontaire, à une déshumanisation rythmée par la manipulation, la violence, l'humiliation et la barbarie, qui les mène tout droit à une déchéance physique et mentale totale.
Ce qui est fascinant, c'est la manière dont les rapports hiérarchiques s'établissent, la façon dont ils font payer à l'autre leur propre culpabilité et la facilité avec laquelle ils arrivent à nier la personnalité de l'autre pour le rabaisser au rang de simple objet manipulable à loisir, pour au final, se nier eux-mêmes.
La force de ce bouquin tient pour moi dans le questionnement qu'il suscite chez le lecteur.
Questionnement sur l'humain, la folie, la normalisation sociale, etc...
On voit combien est fragile l'auto-domestication de l'homme par l'homme. Combien elle s'efface quand la société (l'autre, son regard, la menace de son châtiment) n'est plus là pour réfréner les pulsions, quand il n'y a plus de tabous, plus de limites.
Bien malin celui qui pourrait dire quel rôle, du tyran tortionnaire, de la sadique manipulatrice, de la souffre-douleur soumise ou du parano lâche et effacé, il endosserait dans pareille situation.
Contrairement à toi, Farfadet, je ne suis pas déçu par la fin parce que d'une part ça ne pouvait pas finir autrement et d'autre part j'ai particulièrement goûté l'ironie amère de la conclusion :
[gaffe SPOILER] quoi d'autre qu'une facture impayée aurait pu davantage attirer l'attention de la société sur ce drame effroyable (drame que la société indifférente et les gens alentours ont si bien su ne pas voir) ?
P.S : je n'ai pas vérifié mais je crois que c'est dans Flight de Sherman Alexie qu'il y a une scène (très) similaire à une scène d'Enfer clos (celle du gamin enterré vivant avec un tuyau dans la bouche pour respirer et le père qui, bon , bref...).
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