A lire chez ActuLitté : Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
(Je parle ici en mon nom et certainement pas au nom d'Albin Michel)
Cet article est vraiment intéressant car (comme en BD) sa cible réelle est la surproduction : on vend certes plus de livres, mais moins de livre "en moyenne au titre", car on en produit de façon déraisonnable... depuis "toujours" en ce qui me concerne : je suis arrivé dans le métier en 1996. Que ce soit chez Denoël ou maintenant chez Albin Michel, j'ai toujours publié de façon raisonnable, pas plus de 12 nouveautés par an, me semble-t-il. Il y a une raison simple à cela, je ne peux physiquement pas faire plus d'un livre par mois, surtout quand ceux-ci font parfois 700 ou 800 pages. Et comme je suis un "dinosaure" qui lit/annote la traduction, relit, relit la préparation de copie, etc, ben le temps est compté.
L'idée d'obliger les éditeurs à donner 10% minimum aux auteurs de langue française part d'un constat sur la part du droit d'auteur jugée trop faible par les auteurs. Aucun auteur ne peut faire le constat inverse. Mais 7% chez Tartenpion vaut souvent plus que 10% chez Bidultruc. Si Tartenpion envoie des services de presse, fait de la pub sur votre ouvrage, vous vend à l'étranger, au cinéma, en BD, en poche, en livre audio, ben vous allez gagner plus que les 10% chez Bidultruc qui ne fait rien de tout ça ou pas grand chose, parfois pour une très bonne raison : il n'en a pas les moyens humains.
Je me méfie des effets pervers de ce qui peut sembler un progrès sur le papier, disons que si l'effet pervers ça renforce les gros et ça appauvrit les petits, au final le résultat pour les auteurs "pauvres" sera totalement l'inverse de celui escompté. Ils choisiront l'auto-édition, où pour la plupart d'entre eux ils gagneront encore moins.
La loi du marché, elle fonctionne dans l'autre sens, aussi. Un auteur qui vend est toujours en mesure de négocier car toujours en mesure de partir ailleurs. Aucun contrat (légal) en France ne peut verrouiller durablement un auteur chez un éditeur, si on vous propose un contrat de ce genre, il vaut mieux montrer la clause à un avocat avant de signer (et le cas échéant ne pas signer). C'est sans doute très désagréable à prendre en compte, mais comme pour les savonnettes et les céréales c'est le marché qui dicte sa loi. Et que ce domaine soit artistique ne change pas grand chose au constat, il le rend peut-être plus amer.
Après gagner 10% de droits d'auteur si votre contrat vous explique que les envois d'exemplaires pour les producteurs de cinéma, les éditeurs étrangers seront à la charge de l'auteur, ben vous allez toucher moins au final (ces clauses existent et s'appliquent chez la plupart des agents étrangers, où on prend en compte les "recettes nettes" et où donc l'agent déduit ses frais). J'ai un ami auteur qui une année a dû de l'argent à son agent... parce que l'année n-1 il a touché un énorme chèque pour un livre, et l'année n le livre a eu un tel retentissement qu'il y a eu des centaines de demandes de la part des producteurs cinéma et des éditeurs étrangers. Ses demandes ont été honorées par l'agent et l'auteur s'est retrouvé l'année suivante avec une facture, pour les livres et les frais d'envoi dans le monde entier. Le livre a été vendu au cinéma et l'année n+4 il a de nouveau touché un énorme chèque. A peu de choses près, quand vous êtes connu et que vous êtes représenté par un agent ça fonctionne comme une entreprise, avec ses hauts et ses bas.
Être auteur et vouloir vivre de sa plume, c'est un sacré pari, et je ne pense que le vrai enjeu soit 10% de droits d'auteur, car les auteurs qui vivent de leur plume chez Albin Michel ont plus que 10% de droits. Le vrai enjeu, à mon sens, c'est de publier chez un éditeur qui peut vous promouvoir dans le secteur où vous officiez. Que de cette promotion sorte un succès et que de succès une renégociation de vos droits.
Au cas où vous vous demanderiez, les droits pour un premier roman français chez Albin Michel Imaginaire c'est 7% et l'à-valoir minimum pour un roman doit être de 3000 euros bruts. J'ai vendu absolument tous mes titres étrangers en poche (et très facilement de surcroit), par contre, ce n'est pas le cas pour les les titres français, à l'exception du Chant mortel du soleil de Franck Ferric. J'ai vendu (ou c'est en signature) tous les titres de langue française en livre audio. La trilogie de La Fleur de dieu pas plus tard que cette semaine. Par contre, ce n'est pas le cas pour tous les titres de langue étrangère.
GD
Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
- Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire
- Grand Ancien
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
Intéressant, merci pour les infos.
Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :J'ai un ami auteur qui une année a dû de l'argent à son agent... parce que l'année n-1 il a touché un énorme chèque pour un livre, et l'année n le livre a eu un tel retentissement qu'il y a eu des centaines de demandes de la part des producteurs cinéma et des éditeurs étrangers. Ses demandes ont été honorées par l'agent et l'auteur s'est retrouvé l'année suivante avec une facture, pour les livres et les frais d'envoi dans le monde entier. Le livre a été vendu au cinéma et l'année n+4 il a de nouveau touché un énorme chèque.
Christopher Priest pour Le Prestige, comme il le raconte dans L'Eté de l'infini?
JDB
"Passablement rincé", qu'il dit.
Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :Le vrai enjeu, à mon sens, c'est de publier chez un éditeur qui peut vous promouvoir dans le secteur où vous officiez.
Je fais une lecture bien différente du truc. Je pense que l'enjeu est clairement énoncé : les auteurices veulent pouvoir être décemment rémunéré pour leur travail, ce qui n'est clairement pas le cas à l'heure actuelle. La promotion, très franchement, ça n'est pas leur soucis, c'est celui de l'éditeur. L'auteurice ne doit pas être en galère alors que la maison d'édition de son côté peut payer ses factures. Si les maisons d'édition vivaient avec les moyens de leurs fournisseurs de matière première (les auteurices), elles mettraient presque toutes la clé sous la porte.
L'affaire Herbefol
Au sommaire : La pointe d'argent de Cook, Black Man de Morgan, Navigator de Baxter, Cheval de Troie de Wells & The Labyrinth Index de Stross.
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- Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire
- Grand Ancien
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
Herbefol a écrit :Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :Le vrai enjeu, à mon sens, c'est de publier chez un éditeur qui peut vous promouvoir dans le secteur où vous officiez.
Je fais une lecture bien différente du truc. Je pense que l'enjeu est clairement énoncé : les auteurices veulent pouvoir être décemment rémunéré pour leur travail, ce qui n'est clairement pas le cas à l'heure actuelle. La promotion, très franchement, ça n'est pas leur soucis, c'est celui de l'éditeur. L'auteurice ne doit pas être en galère alors que la maison d'édition de son côté peut payer ses factures. Si les maisons d'édition vivaient avec les moyens de leurs fournisseurs de matière première (les auteurices), elles mettraient presque toutes la clé sous la porte.
Oui, mais pour être décemment payé faut vendre.
Et je ne vois pas comment on vend sans promotion aujourd'hui (sans même parler de la qualité des textes ou de leur potentiel commercial). Alors la promotion c'est très vaste comme concept : de la pub, en passant par la presse ou les blogs ou les réseaux sociaux.
Donc quand tu prends le risque de publier un nouvel auteur, il y a l'à-valoir (le cas échéant), les droits et ce que tu mets en termes de promotion. D'ailleurs les agents se trompent rarement : ils se battent beaucoup plus pour la promotion que pour les échelles de droits qui sont "standardisées", disons.
Ce qu'on observe surtout c'est la paupérisation d'auteurs déjà publiés dont les ventes s'effritent et dont les revenus diminuent, c'est flagrant en BD. Je connais X illustrateurs qui ne trouvent pas de boulot parce que plus personne ne leur propose un a-valoir équivalent à ce qu'ils touchaient dix ans plus tôt. Pour certains on leur propose 5000 euros d'avance pour un album qui va leur prendre au mieux 10 mois de travail.
GD
Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
Résumons-nous : la loi du marché.
Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :Oui, mais pour être décemment payé faut vendre.
La vente, c'est le problème de l'éditeur, pas de l'auteur.
Quand un ouvrier fabrique des boites de petits pois, il n'est pas payé en fonction des ventes de petits pois. Il est payé en fonction du travail qu'il a effectué. Ce devrait être la même chose pour les auteurs et ça n'est pas du tout le cas. Il est totalement anormal que dans un marché global qui dépasse le milliard d'euros, les fournisseurs de matière première soient payés à un tarif misérable.
Et puisqu'on est dans la vision purement économique/financière du truc, je dirai que si le secteur de l'édition n'est pas capable d'apporter une rémunération décente à ses fournisseurs de matière première sans se mettre en danger, alors il mériterait purement et simplement de disparaitre.
L'affaire Herbefol
Au sommaire : La pointe d'argent de Cook, Black Man de Morgan, Navigator de Baxter, Cheval de Troie de Wells & The Labyrinth Index de Stross.
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- Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire
- Grand Ancien
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
Herbefol a écrit :Et puisqu'on est dans la vision purement économique/financière du truc, je dirai que si le secteur de l'édition n'est pas capable d'apporter une rémunération décente à ses fournisseurs de matière première sans se mettre en danger, alors il mériterait purement et simplement de disparaitre.
Assimiler des textes à de la matière première, j'avoue je ne te suis pas.
Sinon, ce serait trop simple : aucune création, on réédite des textes puisqu'il y en a des millions disponibles.
Certains même gratuits. Donc de la matière première disponible, le rêve de tout industriel.
Donc les éditeurs co-créent, ou disons le autrement ils "apportent" quelque chose ; ils ne vendent pas des petits pois ou de la farine au kilo. En tout cas, ce n'est pas comme ça que je considère mon métier.
Si c'était si simple d'être autrice/auteur à succès, tout le monde s'auto-éditerait, bis repetita il y a donc un apport de l'éditeur.
Surtout qu'aujourd'hui on peut très bien gagner sa vie avec l'auto-édition (seulement 1/ ça ne marche pas à tous les coups 2/ certains cas sont aberrants comme Peter A. Flannery qui gagne bien sa vie via l'autoédition sans jamais rien faire sur les réseaux sociaux).
Je ne veux pas donner l'impression que je trouve le système extrêmement juste ou parfait, c'est juste que 1/ il y a surproduction (et je ne me sens pas tellement coupable ; pour le dire franchement, je me sens même totalement innocent) 2/ j'investis beaucoup sur la promotion des auteurs de langue française que je publie, à la fois en temps et en argent.
Tout le monde ne peut pas être auteur et tous les auteurs ne peuvent pas vivre de leur plume.
Pour vivre de sa plume faut avoir du succès.
GD
- Le chien critique
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
N'étant pas du monde de l'édition, il me faut un exemple pour savoir si j'ai bien tout compris.
(En SF, 2000 exemplaires vendus me semblent être une moyenne correcte d'après ce que je lis)
Prix du livre : 20€
Vente : 2000 ex
A valoir : 3000€
Droit d’auteur 10 %
Vente total livre : 2000 * 20 = 40000€
Droit d’auteur : 4000 -3000 à valoir = 1000€
Droit d’auteur 7 %
Vente total livre : 2000 * 20 = 40000€
Droit d’auteur : 2800 -3000 (à valoir) = 0 (ou il rembourse ?)
Dans les deux cas, difficile d'en vivre, surtout si l'auteur écrit lentement...
(En SF, 2000 exemplaires vendus me semblent être une moyenne correcte d'après ce que je lis)
Prix du livre : 20€
Vente : 2000 ex
A valoir : 3000€
Droit d’auteur 10 %
Vente total livre : 2000 * 20 = 40000€
Droit d’auteur : 4000 -3000 à valoir = 1000€
Droit d’auteur 7 %
Vente total livre : 2000 * 20 = 40000€
Droit d’auteur : 2800 -3000 (à valoir) = 0 (ou il rembourse ?)
Dans les deux cas, difficile d'en vivre, surtout si l'auteur écrit lentement...
Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?
Pour vivre de sa plume faut avoir du succès.
Finalement, ça n'est pas tellement éloigné de travailler plus pour gagner plus.
En tout cas, ce qui est bien c'est qu'on trouve plein de bonnes raisons pour ne pas mieux payer les auteurs et tu y contribues. :P
Quand à la surproduction, ça a un peu bon dos. C'est confondre un facteur aggravant avec la cause profonde du problème. La cause profonde, c'est la mauvaise répartition du "gateau", la surproduction ne fait que l'aggraver.
L'affaire Herbefol
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