Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

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Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire » 20 janvier 2020 à 13:40

Aldaran a écrit :Les pirates seraient donc responsables de la précarité des auteurs et autrices ?
Méchants pirates !


J'imagine que tu es ironique, car c'est absolument pas ce que j'ai écrit.

Je ne sais pas s'il y a une étude de l'impact du piratage sur les revenus des auteurs en France, mais il y en a eu en Espagne, il y a quelques années.
Il faut savoir que l'Espagne est peu ou prou la championne d'Europe du piratage de produits culturels.
En Espagne, en dix ans, les revenus des auteurs "professionnels" se sont effondrés. Certains auteurs espagnols établis ont vu avec l’avénement du livre électronique leurs ventes sur la nouveauté passer de 300 000 ex à 80 000 exemplaires, avec les baisses de revenus que ça implique.
Le phénomène ayant été global et pas limité à quelques auteurs qui auraient perdu en lectorat, il a été "étudié".
C'est comme pour les séries télé, les pirates piratent avant tout les "gros vendeurs".
Mais c'est naïf de croire que ça n'a pas d'impact sur les autres ; de là à rendre les auteurs précaires en France je ne crois pas, l'impact étant proportionnel à la notoriété de l'auteur.

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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Léo Henry » 20 janvier 2020 à 15:14

Ce qui est sans doute une nouvelle démonstration du peu d'intérêt que représentent les droits d'auteurs pour les auteurs eux-mêmes.

Toute l'économie des biens culturels repose sur un tour de passe-passe qui consiste à faire croire que l'on peut privatiser des biens qui sont, structurellement, publics (c'est à dire dont on ne peut restreindre l'usage à ses seuls propriétaires). L'entourloupe marche à peu près tant qu'on garde la main sur les supports (même si on ne peut déjà pas empêcher un acheteur de prêter ses livres, par exemple). Dès que ceux-ci cessent d'être utiles, on se rend bien compte qu'il n'y avait, depuis le début, rien à posséder.

La culture est produite collectivement, et par tous. Les bénéfices financiers qu'elle engendre, par contre, semblent s'obstiner à ne pas vouloir ruisseler équitablement. C'est à n'y rien comprendre !
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Aldaran
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Aldaran » 20 janvier 2020 à 15:24

Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :
Aldaran a écrit :Les pirates seraient donc responsables de la précarité des auteurs et autrices ?
Méchants pirates !

J'imagine que tu es ironique, car c'est absolument pas ce que j'ai écrit.

Oui, j'étais ironique mais pas seulement.
(Merci d'avoir initié cette discussion, j'espère qu'elle supportera les tensions jusqu'au bout.)

Que le piratage ait un impact sur les ventes, je conçois tout à fait.
Mais, pour reprendre la question (pas de moi) posée plus haut : quel est le rapport avec la rémunération des auteurs ?
Les auteurs ont toujours été mal payés (ah, ah ! Yal, du calme, on t'a pas oublié...), internet ou non.

Les pirates, selon moi, c'est comme les gilets jaunes : c'est tout le monde. On trouve également des auteurs (et des traducteurs et tout ce que vous voudrez bien y mettre), chez les pirates. De mon côté, je pirate à tout-va. Mais mon budget culturel n'a fait qu'augmenter au fil des ans et ce que je prends gratuitement n'a absolument aucune répercussion sur les ventes puisque je n'aurais pas eu les moyens de dépenser davantage. (Je ne sais pas si les autres pirates cultivent la même bizarrerie, mais ce n'est pas le sujet ici.)

Pour être honnête (parole de pirate !), c'est le "il faut trouver de l'argent" qui m'a le plus... agacé. Surtout "argent", en fait. Mais bon, on vit dans ce monde, les humains préféreront s'entretuer plutôt que d'y renoncer. Un monde sans argent, c'est tellement alien que même les auteurs de SF ne veulent pas jouer avec cette idée. Au temps pour le laboratoire d'idées...
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Herbefol » 20 janvier 2020 à 15:52

Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :
Laurent Queyssi a écrit :
Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :Je me suis souvent dit qu'une assurance-chômage serait "logique" pour un auteur qui a des revenus constants pendant 24 mois. Il faudrait évidemment la financer, et le piratage des livres étant une réalité contre laquelle les fournisseurs d'accès internet ne font rien (me semble-t-il)...

Quel rapport ?

Faut trouver de l'argent pour les auteurs... il y a des compensations pour le piratage des oeuvres audiovisuelles, non ?

Encore un petit effort Gilles et tu pourras pointer au Medef ou à LREM. On va bien inventer encore un prélevement de merde, qui sera récolté par une usine à gaz qui en bouffera elle-même la moitié et filera l'autre moitié aux éditeurs et aux gros auteurs, le reste se partageant évidemment des miettes. Après tout, Relire n'a pas suffit comme idée pourrie. :P

Par moment, je me demande si tu as bien conscience de la façon dont tu défends ta casquette d'éditeur. Depuis le début, je trouve que rien ne va dans le bon sens. Tu sembles assez bon pour défendre le système en place et pour dire que les propositions faites ne sont pas bonnes. Le problème, c'est que sans proposer d'alternatives, je ne vois pas comment ça fait avancer la situation.
L'affaire Herbefol
Au sommaire : La pointe d'argent de Cook, Black Man de Morgan, Navigator de Baxter, Cheval de Troie de Wells & The Labyrinth Index de Stross.
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Aldaran » 20 janvier 2020 à 16:06

Herbefol a écrit :Encore un petit effort Gilles et tu pourras pointer au Medef ou à LREM.

Sérieusement ?
Herbie, un truc pareil, ça fait avancer quoi ?
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Herbefol » 20 janvier 2020 à 16:08

Léo Henry a écrit :en l'état actuel des choses, la part consacrée aux droits d'auteur dans l'économie du livre ne permet pas de s’acquitter de ce genre de cotisation.

C'est ce que je dis depuis des années.
Pour un salarié du privé lambda, les charges sociales (salariale + employeur) représente grosso-modo 40-50% du coût du salarié à l'entreprise. Pour qu'un auteur ait les moyens d'avoir une couverture sociale équivalente, il faudrait qu'il ait la possibilité de voir près de la moitié de sa rémunération partir dans le financement de cette couverture sociale. Vu les miettes que récupère actuellement la grande majorité des auteurs, c'est une plaisanterie. Et c'est ça le vrai scandale.

In fine, il n'y a que deux paramètres sur lesquels on peut jouer pour accroitre les revenus des auteurs :
- augmenter leur part du gâteau.
- augmenter la taille du gâteau.
La première solution a déjà reçu une fin de non recevoir de certains représentants de l'édition.
La deuxième solution n'est pas évidente à mettre en application, toute façon d'augmenter la taille du gâteau (hausse des prix, prélèvement sous un prétexte ou un autre comme le piratage, etc.) n'est pas garantie : si les consommateurs ne peuvent/veulent pas injecter plus de moyens dans le secteur, le gâteau restera à son volume actuel.
Une fois ceci posé, je ne suis pas très optimiste pour leur avenir.
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire » 20 janvier 2020 à 16:45

Herbefol a écrit :Par moment, je me demande si tu as bien conscience de la façon dont tu défends ta casquette d'éditeur. Depuis le début, je trouve que rien ne va dans le bon sens. Tu sembles assez bon pour défendre le système en place et pour dire que les propositions faites ne sont pas bonnes. Le problème, c'est que sans proposer d'alternatives, je ne vois pas comment ça fait avancer la situation.


Depuis le début le problèmes semble venir des éditeurs et de la part que nous donnons aux auteurs, donc je défends mon point de vue d'éditeur (membre du MEDEF et qui roule en Ferrari, comme tout le monde sait).

Il y a des alternatives à l'édition telle que je la pratique (chez Albin Michel), je les ai citées dans un message précédent, et elles n'ont été "retenues" par aucun des intervenants : l'autoédition, la coédition, le financement participatif et/ou la souscription. Ces solutions peuvent garantir de meilleurs % aux auteurs, mais est-ce qu'elles garantissent de meilleurs revenus, ça dépend des cas. Il n'y a pas de solution universelle.

Certains auteurs inventent de nouveaux modèles. Peter Flannery gère en direct tout ce qui concerne les textes en langue anglaise (autoédition, cessions audiolivres) et a un agent pour l'étranger et l'audiovisuel.

D'autres pistes ?

L'augmentation du prix du livre : le lecteur n'en veut pas, me semble-t-il.

Je pense pas qu'on puisse baisser la part du libraire quand on voit le taux de rentabilité minuscule de la plupart des librairies.

La diffusion/distribution, on est déjà très bas (peu ou pas de marge), ou alors les prestations baissent et donc la visibilité des auteurs...

Donc...

Je défends un modèle où les royalties sont considérées comme trop faibles par les auteurs, mais où l'éditeur fait un travail de prospection auprès des éditeurs poche, éditeurs étrangers, éditeurs audio, etc. Où les livres sont vraiment mis en place, c'est pour ça que le poste diffustion/distribution, on est déjà à l'os.

J'ai quand même l'impression que la plupart des auteurs veulent être publiés dans ce modèle, et non devenir des entrepreneurs. D'ailleurs je reçois toutes les semaines des ouvrages auto-publiés que leurs auteurs voudraient voir paraître chez Albin Michel Imaginaire.

Aujourd'hui quand je fais un CEP (compte d'exploitation prévisionnel) sur un premier roman, donc à 7% de royalties et pour 600 ventes (qui est le chiffre moyen de ventes d'un premier roman) il est négatif. Jusqu'à 1500 exemplaires environ il sera négatif. Alors oui, je réduis ma prise de risque, et ça ne me pose aucun problème de l'écrire. Mais il y a aussi tout ce que j'apporte à l'auteur en termes de visibilité et de cessions (potentielles). L'auteur est libre d'aller ou il veut, ce n'est pas une clause de suite qui va le retenir, personne n'y croit vraiment. Moi le premier. Il est libre d'aller où il veut... à la base. S'il veut aller dans l'édition traditionnelle, il sait où il met les pieds (ou doit se renseigner).

Tout le monde n'est pas auteur et tous les "auteurs" ne peuvent pas vivre de leur plume. Après, je ne dis pas que c'est juste, idéal, ou que sais-je. Aujourd'hui aucun auteur ne peut en vivre en étant publié chez Albin Michel Imaginaire, je pense qu'il faut peut-être commencer par ce constat. Certains me demandent avant de signer, et je leur dis " franchement j'y crois pas, il peut y avoir un énorme coup de chance, mais partez du principe que ça ne se produira pas."

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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Léo Henry » 20 janvier 2020 à 17:04

Il y a aussi, sans doute, une dimension symbolique dans l'édition traditionnelle, qui influe sur les auteurs et leur rapport avec leurs patrons.

Si la plupart des artistes ne sont en effet pas prêts à devenir des entrepeneurs (des promoteurs d'eux-mêmes), beaucoup cherchent surtout dans la maison d'édition "officielle" une forme de caution / valeur ajoutée. C'est assez flagrant dans les conversations de cuisine que j'ai : quand on me demande qui est mon éditeur, je suis beaucoup plus crédible si je réponds Gallimard plutôt que Dystopia. Personne ne me posant ensuite la question de mes conditions de travail, et s'il est pour moi plus intéressant d'être publié chez l'un ou chez l'autre.

L'éditeur apporte cette valeur métalittéraire cruciale aux bouquins, qui pèse dans le rapport de force avec les écrivains.
(Ca et leur plus grande capacité d'organisaton face à une population d'auteurs totalement atomisée).
Modifié en dernier par Léo Henry le 20 janvier 2020 à 17:09, modifié 1 fois.
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Léo Henry » 20 janvier 2020 à 17:07

Et sur les modèles alternatifs, c'est évidemment toujours la même question qui se pose : est-ce qu'on a vraiment de l'énergie à perdre à aménager le capitalisme quand on peut lutter pour le détruire ?
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Re: Maintenir la précarité des auteurs pour garantir la bonne santé de l'édition ?

Messagepar Léo Henry » 20 janvier 2020 à 17:08

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