En lisant le jugement sans appel de Thomas Day sur Francis Carsac ("Le Coin des revues",
Galaxies NS 74, p. 116), et plus particulièrement ce paragraphe:
L'interview de l'auteur (qui date de 1974) est assez hallucinante, on dirait une fausse interview du Canard enchaîné. Elle devrait convaincre la plupart des lectrices et des lecteurs contemporains d'éviter l’œuvre de Francis Carsac...
... il m'est revenu en mémoire une autre interview "hallucinante", que j'ai eu le malheur de réaliser il y a plus de vingt ans.
C'était en 1998. Dans la foulée de son séjour au Futuroscope pour le festival Utopia 1998, Jack Vance a passé quelques jours à Paris et François Angelier m'a demandé de l'interviewer pour "Mauvais genres", la transcription/traduction devant ensuite paraître dans
Galaxies.
Rendez-vous fut pris et, le jour et l'heure dits, je me suis présenté à son hôtel, accompagné de Frédéric Lavignette, de France Culture, et de son Nagra.
Ce fut une catastrophe. Une des expériences les plus éprouvantes de ma vie.
Refusant obstinément de répondre aux questions que je lui posais--sur sa vie, son œuvre, son dernier livre paru en France (
Escales dans les étoiles)--, Vance s'est répandu en diatribes ultra-réactionnaires, dont le point culminant fut une mise en garde contre Lionel Jospin (alors Premier ministre), qui ne manquerait pas de transformer la France en république soviétique. De temps à autre, Frédéric Lavignette me jetait des regards atterrés.
L'ambiance ne s'est détendue que sur la fin lorsque, à cours de ressources, je lui ai dit que mon père avait été marin comme lui, et on a eu droit à des réminiscences sur sa jeunesse et ses expériences maritimes.
Plus tard, comme j'en avais l'instruction, j'ai rédigé une transcription/traduction de cette interview maudite et, après mûre réflexion, les parties concernées--François Angelier pour "Mauvais genres", Stéphanie Nicot pour
Galaxies, et moi-même--sommes tombés d'accord pour ne pas la diffuser ni la publier, tant elle risquait d'être préjudiciable à l'image de Vance.
Parlez d'autocensure si ça vous chante.
Que se serait-il passé dans le cas contraire? Eh bien, peut-être n'aurions-nous pas eu le plaisir de lire les multiples rééditions--souvent avec traductions restaurées--parues durant les vingt dernières années, au Bélial' et ailleurs, les lecteurs et lectrices ayant reçu le conseil "d'éviter l’œuvre" de Jack Vance.
C'eût été dommage, non?
JDB
"Passablement rincé", qu'il dit.