Une fois n'est pas coutume, je fais mon Day/Dumay et vous parle de mon dernier visionnage. Pourquoi? Parce que j'ai été littéralement subjugué par ce film et qu'il m'a ouvert les yeux sur la façon de construire une histoire et des personnages.
Le scénario vite fait: Afrique occidentale française, 1938. La guerre approche et tout le monde en a conscience. Lucien Cordier (Philippe Noiret) est chef de la police d'un petit village loin de tout, conscient de son impuissance à faire régner la justice, et il a sombré dans une indolence qui lui vaut les moqueries, voire les humiliations, de tout son entourage: son épouse Huguette (Stéphane Audran), Nono (Eddy Mitchell), le frère de celle-ci (encore qu'il soit permis de douter de la nature de leurs relations), les deux maquereaux tenant le bordel local (Jean-Pierre Marielle et Gérard Hernandez), et même son supérieur hiérarchique, le commandant Chavasson (Guy Marchand), sans parler de divers pontes locaux. Arrive ce qui devait arriver: il pète les plombs et ça défouraille à tout va. J'arrête là le résumé, car l'intrigue est riche de surprises.
Le film, les situations qui se présentent et se développent, la psychologie des personnages et leur évolution, tout ça est rigoureusement imprévisible. Je suis resté scotché devant ma télé en me disant du début à la fin: bon, je sais où on va, mais comment on va y aller? Et à chaque fois, c'était en même temps inattendu et d'une logique implacable.
Sur le DVD que j'ai acheté l'autre jour dans un bac de solderie (StudioCanal, 2021, mais ce n'est sûrement pas la première édition) figure un entretien avec Tavernier et Noiret réalisé par Michel Boujut en 2001, où acteur et réalisateur donnent certaines des clés permettant de mieux comprendre, mais surtout de mieux apprécier leur travail.
Le caractère imprévisible du film était voulu et assumé par Tavernier, qui s'est volontairement abstenu de donner aux acteurs des indications permettant de cerner au plus près leur personnage. Noiret--qui confie avoir apprécié de tourner avec Tavernier parce qu'il lui demandait de faire des choses qu'il n'avait jamais faites auparavant--raconte d'ailleurs qu'il a conseillé à Isabelle Huppert (Rose, la maîtresse de Lucien) de se laisser aller: tous les personnages, lui a-t-il dit, agissent par impulsion, ils sont bruts de décoffrage.
Cette impression de folie est encore accentuée par des personnages secondaires totalement jetés, notamment un militaire, le commandant Tramichel (François Perrot) et un aveugle entraperçu deux ou trois fois qui se croit toujours en train d'entrer dans la forêt vierge. Sans parler du frère jumeau de l'un des maquereaux (Marielle again), pour une scène de biture métaphysique proprement sublime.
J'aurais encore mille choses à dire sur le film: l'usage de la steadicam, garant de spontanéité; le contexte historique (sur la fin, il y a une scène de bal parce que le village vient de recevoir une bonne nouvelle--quand on connaît ce qui a suivi, on frémit); la subtilité qui a présidé à l'adaptation: pourquoi prendre un classique de Jim Thompson situé dans l'Amérique des années 1940 et le transposer dans l'A.O.F. des années 1930? L'explication de Tavernier est limpide et, au passage, explique pourquoi Ne le dis à personne de Guillaume Canet ne tient pas la route.
Bref, une re-révélation pour moi, et je sens que je vais me faire une petite collection Tavernier.
JDB
[Noir] Coup de torchon, Bertrand Tavernier (1981)
[Noir] Coup de torchon, Bertrand Tavernier (1981)
"Passablement rincé", qu'il dit.
- Thomas Day
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Re: [Noir] Coup de torchon, Bertrand Tavernier (1981)
Il y a un très beau coffret Tavernier, que je me suis offert, il est à 47 balles actuellement chez un revendeur bien connu.
Contient :
- "L'horloger de Saint-Paul"
- "Que la fête commence" (version restaurée inédite)
- "Le Juge et l'assassin"
- "Des enfants gâtés"
- "La Mort en direct"
- "Une semaine de vacances" (version restaurée inédite)
- "Coup de torchon" (version restaurée inédite)
- "Un Dimanche à la campagne"
- "La Vie et rien d'autre"
- "L.627"
- "La Guerre sans nom" (2 DVD, version restaurée inédite)
- "L'Appât"
- "Capitaine Conan"
- "Ça commence aujourd'hui"
- "Laissez-passer"
- "Holy Lola"
- "La Princesse de Montpensier"
- "Quai d'Orsay"
- un livre rédigé par Guillemette Odicino avec préface de Thierry Frémaux (76 pages)
Par pur snobisme, je l'ai pris en blu-ray. Je n'ai pas fini d'explorer les films que je n'avais jamais vus.
TD
Contient :
- "L'horloger de Saint-Paul"
- "Que la fête commence" (version restaurée inédite)
- "Le Juge et l'assassin"
- "Des enfants gâtés"
- "La Mort en direct"
- "Une semaine de vacances" (version restaurée inédite)
- "Coup de torchon" (version restaurée inédite)
- "Un Dimanche à la campagne"
- "La Vie et rien d'autre"
- "L.627"
- "La Guerre sans nom" (2 DVD, version restaurée inédite)
- "L'Appât"
- "Capitaine Conan"
- "Ça commence aujourd'hui"
- "Laissez-passer"
- "Holy Lola"
- "La Princesse de Montpensier"
- "Quai d'Orsay"
- un livre rédigé par Guillemette Odicino avec préface de Thierry Frémaux (76 pages)
Par pur snobisme, je l'ai pris en blu-ray. Je n'ai pas fini d'explorer les films que je n'avais jamais vus.
TD
Re: [Noir] Coup de torchon, Bertrand Tavernier (1981)
"Que la fête commence", "Le Juge et l'assassin", "Coup de torchon", "La Vie et rien d'autre" sont à voir absolument. Dans ta liste, il manque "Dans la brume électrique", à voir aussi.
"Le juge et l'assassin", c'est vraiment quelque chose.
"Le juge et l'assassin", c'est vraiment quelque chose.
“Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment.” B. Pascal.
“The light that burns twice as bright burns half as long, and you have burned so very, very brightly, Roy.” Blade Runner.
“The light that burns twice as bright burns half as long, and you have burned so very, very brightly, Roy.” Blade Runner.
Re: [Noir] Coup de torchon, Bertrand Tavernier (1981)
Merci Gilles de m'avoir signalé le coffret, mais je crois que je vais procéder film par film.
Dans la brume électrique est une coproduction franco-américaine, ce qui explique peut-être son absence--ainsi que celle d'Autour de minuit, pour la même raison.
JDB
Dans la brume électrique est une coproduction franco-américaine, ce qui explique peut-être son absence--ainsi que celle d'Autour de minuit, pour la même raison.
JDB
"Passablement rincé", qu'il dit.
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