Olivier Gallmeister, fondateur des excellentes éditions du même nom (au catalogue non exempt de SF, je pense par exemple à Walter Tevis), met les pieds dans le plat dans les pages du Figaro.
Extrait, ou l'éditeur, spécialisé en littérature nord-américaine, explique qu'il n'arrive plus à trouver de texte intéressant depuis deux ans :
"Ce qui est triste, c'est de voir des écrivains doués tomber dans le piège de la bien-pensance et vouloir commencer à cocher les cases identitaires. Pour moi, c'est au contraire extrêmement infamant pour les minorités concernées, quelles qu'elles soient. Définir un personnage par ses origines, sa couleur de peau ou ses orientations sexuelle, c'est absolument innommable. Je peine à trouver des livres écrits en toute liberté : bien entendu, je reçois toujours des manuscrits, mais peu me donnent envie de les lire car nous publions de la littérature et je ne donne pas dans le politiquement correct. Je n'ai pas besoin qu'un livre m'explique que la guerre c'est mal, que le racisme c'est mal, que l'homophobie c'est mal, et que le cancer c'est triste : ça ne m'intéresse pas. Toute notion d'ambiguïté, de complexité, de nuance... tend à s'effacer au profit d' "idées" simplistes. Cela dessert la littérature et cela sert les extrémistes de tout bords.
En raison de cette cancel culture, un certain nombre d'auteurs américains que nous publions en France ne le sont plus aux USA ; c'est le cas, par exemple, de David Vann, Peter Fromm ou Benjamin Whitmer. C'est désolant. Je suis convaincu que My Absolute Darling de Gabriel Tallent ne sortirait plus aujourd'hui…"
L'entretien complet ici (article réservé aux abonnés).
"Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
- Olivier Girard
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
Je suis complètement d'accord avec lui.
D'ailleurs, je le dis clairement maintenant, tout livre qu'on me vend en me réduisant le bouquin à un programme militant au lieu d'une histoire, je ne prends plus la peine de m'y attarder.
Je pense d'ailleurs qu'il est insultant de réduire un livre/un personnage à une identité, un handicap ou autre.
Mais après, AMHA, c'est surtout devenu un filon commercial, plus encore qu'un fond de commerce pour les extrêmes.
À ce titre d'ambiguïté et de complexité, je ne peux que recommander le formidable Lady Chevy de John Woods.
Pour l'anecdote, j'avais rencontré Gabriel Tallent à la librairie Au Temps Lire de Lambersart qui, durant l'interview avec les libraires, avait expliqué que son livre avait eu à faire à une violente opposition aux États-Unis car il avait choisi un personnage principal de jeune fille alors qu'il est un homme. Et que donc, c'était intolérable. Il nous avait dit lui-même clairement qu'il ne savait pas combien de temps il serait possible encore aux auteurs et autrices américains d'écrire autre chose que des œuvres proto-autobiographiques.
D'ailleurs, je le dis clairement maintenant, tout livre qu'on me vend en me réduisant le bouquin à un programme militant au lieu d'une histoire, je ne prends plus la peine de m'y attarder.
Je pense d'ailleurs qu'il est insultant de réduire un livre/un personnage à une identité, un handicap ou autre.
Mais après, AMHA, c'est surtout devenu un filon commercial, plus encore qu'un fond de commerce pour les extrêmes.
À ce titre d'ambiguïté et de complexité, je ne peux que recommander le formidable Lady Chevy de John Woods.
Pour l'anecdote, j'avais rencontré Gabriel Tallent à la librairie Au Temps Lire de Lambersart qui, durant l'interview avec les libraires, avait expliqué que son livre avait eu à faire à une violente opposition aux États-Unis car il avait choisi un personnage principal de jeune fille alors qu'il est un homme. Et que donc, c'était intolérable. Il nous avait dit lui-même clairement qu'il ne savait pas combien de temps il serait possible encore aux auteurs et autrices américains d'écrire autre chose que des œuvres proto-autobiographiques.
Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
Avec cette logique militante, Watership Down devrait donc avoir été écrit par un lapin, Anno Dracula par un vampire, et la Culture par une IA logée dans un astronef de plusieurs dizaines de kilomètres de long. Vous commencez à voir à quel point elle est idiote ?
- Thomas Day
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
Il est pas né celui qui m'empêchera d'écrire sur les Zoulous, les samouraïs, les démons japonais à grosse bite, les putes thaïlandaises (j'essaye d'avoir de la suite dans les idées), les créatures lovecraftienne et les dragons, sous prétexte que je suis rien de tout ça.
Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
Thomas Day a écrit :Il est pas né celui qui m'empêchera d'écrire sur les Zoulous, les samouraïs, les démons japonais à grosse bite, les putes thaïlandaises (j'essaye d'avoir de la suite dans les idées), les créatures lovecraftienne et les dragons, sous prétexte que je suis rien de tout ça.
Amen, c'est comme ça qu'on t'aime !
- Weirdaholic
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
Nil novi sub sole, Léa Silhol dénonçait déjà en 2019 ce qu'elle appelait "la dictature des normes", avec des exemples intéressants.
Je me demande ce que Tochi Onyebuchi penserait de ça ? ^_^
Je pense quand même que le propos (autant d'Olivier Gallmeister que de Léa Silhol) mérite d'être nuancé, parce qu'à pousser trop loin le raisonnement, les Moutons Electriques n'auraient pas publié Nous sommes la poussière d'Eva D Serves - c'est aussi sympa d'avoir des personnages différents de ce qu'on lit d'habitude, il faut juste que ça soit bien fait (voir aussi cette brève réflexion de Mélanie Fazi sur la représentation).
Effectivement réduire par exemple le lectorat de Léopard noir, loup rouge aux seuls gays noirs serait une aberration... (Oui, je prends un exemple extrême.)
J'ai un doute sur ce point, mais je ne connais pas suffisamment le milieu de l'édition américaine pour argumenter. En France, en tout cas, je n'ai pas l'impression que mettre en scène un personnage hors de la norme hétéro / cis / blanc / neurotypique fasse vraiment gagner du public - et je n'ai pas l'impression non plus qu'il y ait une pression insoutenable exercée sur les auteurs et autrices pour qu'ils aillent dans ce sens, mais je me trompe peut-être ?
C'est encore un peu différent en France il me semble, je ne crois pas que quiconque ait reproché à Sabrina Calvo d'utiliser des narratrices féminines avant sa transition (je prends délibérément un exemple extrême, encore une fois).
Olivier Girard a écrit :Olivier Gallmeister, fondateur des excellentes éditions du même nom (au catalogue non exempt de SF, je pense par exemple à Walter Tevis), met les pieds dans le plat dans les pages du Figaro.
Extrait, ou l'éditeur, spécialisé en littérature nord-américaine, explique qu'il n'arrive plus à trouver de texte intéressant depuis deux ans :
"Ce qui est triste, c'est de voir des écrivains doués tomber dans le piège de la bien-pensance et vouloir commencer à cocher les cases identitaires. Pour moi, c'est au contraire extrêmement infamant pour les minorités concernées, quelles qu'elles soient. Définir un personnage par ses origines, sa couleur de peau ou ses orientations sexuelle, c'est absolument innommable.
Je me demande ce que Tochi Onyebuchi penserait de ça ? ^_^
Je pense quand même que le propos (autant d'Olivier Gallmeister que de Léa Silhol) mérite d'être nuancé, parce qu'à pousser trop loin le raisonnement, les Moutons Electriques n'auraient pas publié Nous sommes la poussière d'Eva D Serves - c'est aussi sympa d'avoir des personnages différents de ce qu'on lit d'habitude, il faut juste que ça soit bien fait (voir aussi cette brève réflexion de Mélanie Fazi sur la représentation).
Razheem L'insensé a écrit :Je pense d'ailleurs qu'il est insultant de réduire un livre/un personnage à une identité, un handicap ou autre.
Effectivement réduire par exemple le lectorat de Léopard noir, loup rouge aux seuls gays noirs serait une aberration... (Oui, je prends un exemple extrême.)
Razheem L'insensé a écrit :Mais après, AMHA, c'est surtout devenu un filon commercial, plus encore qu'un fond de commerce pour les extrêmes.
J'ai un doute sur ce point, mais je ne connais pas suffisamment le milieu de l'édition américaine pour argumenter. En France, en tout cas, je n'ai pas l'impression que mettre en scène un personnage hors de la norme hétéro / cis / blanc / neurotypique fasse vraiment gagner du public - et je n'ai pas l'impression non plus qu'il y ait une pression insoutenable exercée sur les auteurs et autrices pour qu'ils aillent dans ce sens, mais je me trompe peut-être ?
Razheem L'insensé a écrit :Pour l'anecdote, j'avais rencontré Gabriel Tallent à la librairie Au Temps Lire de Lambersart qui, durant l'interview avec les libraires, avait expliqué que son livre avait eu à faire à une violente opposition aux États-Unis car il avait choisi un personnage principal de jeune fille alors qu'il est un homme. Et que donc, c'était intolérable.
C'est encore un peu différent en France il me semble, je ne crois pas que quiconque ait reproché à Sabrina Calvo d'utiliser des narratrices féminines avant sa transition (je prends délibérément un exemple extrême, encore une fois).
Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
Olivier Girard a écrit :En raison de cette cancel culture
Ça aurait été dommage de louper ce bingo.
Si Gallmeister veut parler de cancel culture, on peut, mais dans ce cas faudrait s'intéresser à ce qui se passe vraiment dans ce domaine outre-Atlantique : livres de tous genres bannis des bibliothèques dans certains états (avec possiblement des sanctions très sévères pour les bibliothécaires qui oseraient de ne pas se plier aux instructions), élue trans qu'on expulse de l'assemblée d'état, élus noirs qu'on destitue de leurs mandats, etc. Ou plus près de chez nous les artistes dont les intégristes catho empêchent les représentations dans des lieux de culte (ou anciens lieux puisque certains des endroits en question ne sont plus consacrés depuis des décennies). Y a de quoi faire et c'est quand même autre chose que ce qui défrise Gallmeister.
L'affaire Herbefol
Au sommaire : La pointe d'argent de Cook, Black Man de Morgan, Navigator de Baxter, Cheval de Troie de Wells & The Labyrinth Index de Stross.
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- Weirdaholic
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
Herbefol a écrit :Si Gallmeister veut parler de cancel culture, on peut, mais dans ce cas faudrait s'intéresser à ce qui se passe vraiment dans ce domaine outre-Atlantique : livres de tous genres bannis des bibliothèques dans certains états (avec possiblement des sanctions très sévères pour les bibliothécaires qui oseraient de ne pas se plier aux instructions), élue trans qu'on expulse de l'assemblée d'état, élus noirs qu'on destitue de leurs mandats, etc.
Bien vu.
- Razheem L'insensé
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
Pour Weirdaholic,
C'est marrant car, justement Black Leopard, Red Wolf est justement l'un des titres qui me vient en premier à l'esprit.
Par contre, je ne suis pas sûr que tu as compris ce que je voulais dire dans le sens où je l'exprimais.
À savoir que ce qui devient rédhibitoire pour moi, c'est de promouvoir/vendre un roman en le réduisant à un aspect militant comme une sorte de porte-étendard vulgaire et grossier.
Quand je lis la quatrième de couverture du Marlon James, on ne présente pas le roman comme l'histoire d'un guerrier noir homosexuel qui va devoir dépasser les tabous et interdits des siens et les combattre. On me parle de l'histoire elle-même, on m'explique qui est Traqueur et on ne le réduit pas au "gay" de service.
Par contre, ai-je besoin de te préciser que l'idée même qu'un livre avec des personnages queers n'est lu que par des queers me semble complètement bête et grossièrement caricatural ?
Concernant le côté commercial, pour moi c'est une évidence. Comme il y a un public pour les machins crypto-fascistes etc..., il y a un public pour l'identitaire porté au rang de récit, peu importe le bord. Certains éditeurs français en ont fait leur fond de commerce. C'est un marché de niche, donc un choix risqué, mais pourquoi pas après tout. Y'a bien des acheteurs pour du Zemmour ou l'autre neuneu de Branco. Certaines personnes adorent classer et trier les gens en les mettant dans des cases, qu'ils se veulent défenseurs du bien ou de la moralité, de n'importe quel bord politique.
Et pour le Eva D.Serves, bien joué. C'est exactement l'un des derniers argumentaires que j'ai vu passé où, dans le machin concocté pour promouvoir de livre, j'avais aucune idée de quoi ça parlait vraiment par contre, c'était une vraie liste de course de thèmes militants. Un repoussoir total. Après, si ça plaît à un certain public, pourquoi pas.
C'est marrant car, justement Black Leopard, Red Wolf est justement l'un des titres qui me vient en premier à l'esprit.
Par contre, je ne suis pas sûr que tu as compris ce que je voulais dire dans le sens où je l'exprimais.
À savoir que ce qui devient rédhibitoire pour moi, c'est de promouvoir/vendre un roman en le réduisant à un aspect militant comme une sorte de porte-étendard vulgaire et grossier.
Quand je lis la quatrième de couverture du Marlon James, on ne présente pas le roman comme l'histoire d'un guerrier noir homosexuel qui va devoir dépasser les tabous et interdits des siens et les combattre. On me parle de l'histoire elle-même, on m'explique qui est Traqueur et on ne le réduit pas au "gay" de service.
Par contre, ai-je besoin de te préciser que l'idée même qu'un livre avec des personnages queers n'est lu que par des queers me semble complètement bête et grossièrement caricatural ?
Concernant le côté commercial, pour moi c'est une évidence. Comme il y a un public pour les machins crypto-fascistes etc..., il y a un public pour l'identitaire porté au rang de récit, peu importe le bord. Certains éditeurs français en ont fait leur fond de commerce. C'est un marché de niche, donc un choix risqué, mais pourquoi pas après tout. Y'a bien des acheteurs pour du Zemmour ou l'autre neuneu de Branco. Certaines personnes adorent classer et trier les gens en les mettant dans des cases, qu'ils se veulent défenseurs du bien ou de la moralité, de n'importe quel bord politique.
Et pour le Eva D.Serves, bien joué. C'est exactement l'un des derniers argumentaires que j'ai vu passé où, dans le machin concocté pour promouvoir de livre, j'avais aucune idée de quoi ça parlait vraiment par contre, c'était une vraie liste de course de thèmes militants. Un repoussoir total. Après, si ça plaît à un certain public, pourquoi pas.
Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"
Sinon, a-t-on des données fiables sur le sujet, autre que le ressenti d'un éditeur, aussi respectable soit-il, se lamentant sur le déclin de la littérature (et de la civilisation) dans le Figaro ? Avant de se lancer dans des croisades tout azimut, ça peut avoir son importance, non ?
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